Documentaire sur France 3 à 23 h 50

« De l’encre sous la peau » sur France 3. / © LUMINAFILMS

Après avoir été délesté de son poids d’infamie ou d’asservissement, le tatouage a perdu progressivement sa charge subversive, à mesure qu’il se transformait en phénomène de mode. Depuis une quinzaine d’années, une traînée d’encre s’est répandue au sein de la société, brisant les digues des âges, des sexes et des catégories professionnelles. On estime ainsi qu’en France une personne sur dix est tatouée – le chiffre s’élevant à un sur cinq parmi les moins de 35 ans – et que 4 000 professionnels travaillent dans ce secteur.

Même s’il est évoqué à travers de courtes plongées dans des expositions ou des conventions, c’est moins le phénomène de mode ou l’aspect purement artistique qui intéresse Suzanne Chupin que les motifs qui se cachent sous les tatouages. Pour ce faire, elle a choisi de suivre, dans leur quotidien, deux femmes et deux hommes d’âge et de milieux socioprofessionnels différents, pour qui le tatouage revêt bien plus qu’une simple dimension décorative.

« Journal intime »

Ainsi de Jonathan, jeune garçon dont le corps, sur lequel il a pratiqué lui-même ses premiers tatouages, est devenu un « journal intime » où ces dessins « enregistrent » les traces de son passé et celui de ses parents, réfugiés cambodgiens. Des tatouages qui, en outre, lui ont permis de s’ouvrir aux au­tres. Quand Maude, jeune romancière, y a trouvé, par l’embellissement de son corps, « la voie directe à une acceptation de soi ».

Professeure en sciences du langage à l’université Paris-XIII-Sorbonne-Paris-Cité, Marie-Anne Paveau a attendu quarante ans pour passer de la « théorie à la pratique » à travers le dessin symbolique d’une spirale. « Quand on commence à se faire tatouer, ça devient un langage. Dès qu’il se produit quelque chose, on le manifeste par un tatouage », explique cette universitaire qui nous éclaire sur cette pratique et son évolution sociale.

Plus singulier encore est le parcours du comédien Pascal Tourain qui a connu une seconde nais­­sance professionnelle en « transformant [son] enveloppe corporelle en hypothétique œuvre d’art », ainsi qu’il l’explique dans son spectacle drôle et corrosif L’Homme tatoué.

Corps palimpseste, support de la mémoire, motif d’une réappropriation du corps et avec elle d’une affirmation de soi, espace de liberté… c’est tout cela que ­dessine avec ces mots de chair ­et d’encre ce documentaire intimiste et délicat.

De l’encre sous la peau, de Suzanne Chupin (Fr., 2016, 55 min).