Isaac Makwala en train de prier, dimanche, après sa demi-finale du 400 m aux championnats du monde de Londres. / David J. Phillip / AP

Passée inaperçue en France en raison du titre dans l’épreuve du 800 m de Pierre-Ambroise Bosse, l’histoire d’Isaac Makwala est sans doute la plus étrange des championnats du monde d’athlétisme, qui se déroulent cette semaine à Londres. Elle pourrait connaître son épilogue ce mercredi soir, avec la scène insolite d’un athlète seul face au chronomètre sur un demi-tour de piste.

Cet athlète de 30 ans, natif du Botswana, était annoncé comme le principal adversaire du Sud-Africain Wayde van Niekerk sur 200 et 400 m. Autrement dit, l’une des possibles vedettes de ces Mondiaux.

Lundi, Makwala, victime de l’épidémie de gastro-entérite ayant contaminé une trentaine d’athlètes logés dans le même hôtel londonien, est absent des séries du 200 m – distance sur laquelle il possède le meilleur temps de la saison (19 s 77). Mardi après-midi, il est également annoncé non-partant dans la finale du 400 m, point d’orgue de la soirée londonienne.

« Conformément aux règles sanitaires britanniques »

Pourtant, en début de soirée, Isaac Makwala se présente aux portes du stade dans son survêtement bleu ciel aux couleurs du Botswana, ses pointes dans le sac à dos, dans l’espoir de contester le sacre annoncé de Wayde van Niekerk. Les officiels l’empêchent d’entrer, suivant les ordres donnés par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF).

« Conformément aux règles sanitaires britanniques, il a été demandé que [Makwala] reste en quarantaine dans sa chambre pour une période de quarante-huit heures », déclare l’IAAF dans un communiqué, notant que la gastro-entérite a été diagnostiquée lundi et que sa période de quarantaine expirera mercredi à 14 heures. « Ces procédures ont été recommandées par l’Agence sanitaire britannique et ont été clairement expliquées, par écrit, aux équipes. »

Makwala exprime immédiatement sa colère sur Facebook, affirmant qu’il est guéri, et se plaint de ne pas avoir été examiné par un médecin de la Fédération internationale.

L’affaire fait gloser les télévisions toute la soirée et suscite l’incompréhension sur les réseaux sociaux. Consultant pour la BBC, la légende du tour de piste Michael Johnson va jusqu’à évoquer un complot de l’IAAF pour favoriser Wayde van Niekerk, vendu comme la prochaine star de l’athlétisme.

« Il y a beaucoup d’incohérences dans cette histoire et, c’est un sujet tabou, mais Wayde van Niekerk est le chouchou de l’IAAF et son seul adversaire a été retiré des 200 et 400 m. Les thèses conspirationnistes ne vont pas tarder », lance-t-il sur la télévision britannique, diffuseur officiel de la compétition.

« Si cela était arrivé à Mo Farah… »

Wayde van Niekerk, net vainqueur du 400 m en 43 s 98 – un temps dans les cordes de Makwala –, a dit toute sa compassion pour son adversaire et ami : « C’est tellement dommage. J’aimerais qu’il ait eu sa chance, qu’il ait pu courir. Je compatis tellement. Pour être honnête, j’aimerais pouvoir lui donner ma médaille. Mais c’est le sport. »

Le couloir vide d’Isaac Makwala, à gauche de Wayde van Niekerk (en vert) durant la finale du 400 m à Londres. / Martin Meissner / AP

Personne n’était aussi triste, toutefois, que Makwala lui-même, qui a donné mercredi une interview tire-larmes et aux relents complotistes à la BBC, à voir ici (en anglais) :

« Si cela était arrivé à Mo Farah, je ne pense pas que les Britanniques lui auraient interdit de courir : ils savent qu’il est celui qui peut leur apporter une médaille. Ou quelqu’un d’autre, comme Usain Bolt, ou même [le footballeur] Wayne Rooney, qui est important en Grande-Bretagne. Je ne pense pas qu’ils lui auraient interdit de participer. Il y a quelque chose d’étrange que [l’IAAF] ne veut pas nous dire là-dedans. (…)

Ils m’ont brisé le cœur. Vous savez à quel point on travaille. On travaille beaucoup pour cela. On lutte beaucoup. Au Botswana, ce n’est pas comme dans d’autres pays comme en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis où le pays fait tout pour les athlètes, leur facilite l’entraînement. Au Botswana, ça ne se passe pas comme ça. (…)

L’émotion est montée quand Wayde a franchi la ligne en 43 s 98. J’ai regardé le temps, et ce temps était normal. Je pouvais le faire, j’avais la forme pour ça. Mon but ici, c’était de courir en 43 s 50. Je me suis dit “pfff… c’était mon heure”. C’était le moment de remporter la médaille d’or. »

Repêché sur 200 m

L’affaire Makwala, que l’on pensait mardi soir tristement terminée, a connu un nouveau rebondissement mercredi après-midi : sur demande de la Fédération botswanaise, l’IAAF a accepté de le laisser courir sa série du 200 m, seul, à 19 h 40, dans l’espoir de se qualifier pour les demi-finales prévues à 21 h 55.

« Etant donné que sa période de quarantaine a expiré à 14 heures (heure anglaise) aujourd’hui et suite à un examen médical à l’issue duquel il a été déclaré apte à concourir, nous avons accepté, en vertu de nos règles et sous réserve qu’il réussisse le temps de qualification, qu’il pourrait disputer les demi-finales du 200 m ce [mercredi] soir. Makwala devra courir en 20 s 53 ou mieux pour aller en demi-finales. »

Le temps est plus que raisonnable pour le meilleur spécialiste mondial cette saison, mais la difficulté sera de gérer deux courses dans une même soirée. En cas de qualification pour la finale, le 200 m jeudi soir deviendra l’une des courses les plus attendues de la semaine londonienne.