Au moins 250 000 œufs de consommation ont été vendus en France entre avril et juillet. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

L’affaire des œufs contaminés au fipronil – cet insecticide utilisé pour éliminer certains parasites de la poule – s’étend en Europe, concernant désormais dix-sept pays. Si le ministère de l’agriculture français se veut rassurant sur les conséquences sanitaires de cet épisode – bien que certains avis scientifiques soient plus nuancés –, ce scandale est un nouveau symptôme des dysfonctionnements du secteur industriel alimentaire européen.

Les crises sanitaires se répètent, en effet, depuis la montée en puissance du modèle agroalimentaire intensif. Le scénario – un produit, qui n’aurait pas dû être là, se retrouve dans les assiettes des consommateurs – surprend souvent par l’ampleur géographique qu’il prend.

Pour les citoyens, les répercussions de ces épisodes ne sont pas forcément inquiétantes, mais elles font monter la défiance du grand public face au discours des industriels et de l’agrobusiness et montrent la complexité du circuit alimentaire, notamment en Europe. Les enquêtes achoppent d’ailleurs souvent sur l’opacité de la traçabilité des aliments.

Récapitulatif de quelques scandales alimentaires qui ont touché la France ces dernières années, avec des conséquences plus ou moins dramatiques.

  • Eté 2017 : du fipronil dans les œufs

Le fipronil est un produit phytosanitaire très efficace dans le traitement antiparasitaire des animaux domestiques. En revanche, il est strictement interdit chez les animaux destinés à la consommation humaine. Pourtant, de faibles doses de cet insecticide, considéré comme « modérément toxique » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), se sont retrouvées dans les assiettes des consommateurs européens.

Si de nombreux ovoproduits – c’est-à-dire des produits obtenus à partir d’œufs, tels que des biscuits, des sauces ou des pâtes – sont concernés, des œufs de consommation sont également incriminés, dont au moins 250 000 en France, écoulés entre avril et juillet. Des exploitations conventionnelles mais aussi bio sont concernées.

Mais le scandale pourrait remonter à plus loin. Les autorités néerlandaises étaient au courant du problème depuis le mois de novembre 2016 de cette pratique illicite et n’ont pas alerté les autorités européennes pour autant. Le ministère de l’agriculture français a tenté vendredi 11 août de minimiser la situation, affirmant : « Nous ne faisons pas face à un scandale sanitaire, mais à une fraude. »

Si l’enquête est toujours en cours, cette crise pourrait, en effet, provenir de trois sociétés, basées en Roumanie, aux Pays-Bas et en Belgique. Ces trois entreprises promettaient aux exploitants avicoles un service plus efficace d’éradication du pou rouge, un parasite qui infeste une grande part des exploitations de poules pondeuses. La société proposait un traitement, commercialisé sous l’appellation Dega-16, capable de supprimer durablement le parasite, pendant environ huit mois, des installations traitées par ses soins (contre trois mois environ habituellement). C’est ce produit qui pourrait être à l’origine de cette chaîne de contamination.

  • Décembre 2013 : des chevaux de laboratoire à la boucherie

Les étals de boucherie sont regardés de travers, dans le sud de la France. Après deux années d’une enquête franco-espagnole provoquée par un courrier anonyme, vingt et une personnes sont interpellées. En cause : un trafic de viande de cheval, revendue pour la consommation après avoir servi dans l’industrie pharmaceutique, notamment chez Sanofi.

Achetés sur pied, notamment par un maquignon du Gard pour la somme dérisoire de 10 euros la bête auprès de Sanofi, ces chevaux, qui auraient dû être revendus comme chevaux de loisirs, ont été cédés à une société de Narbonne (Aude) avant d’être abattus pour certains en Espagne, et de terminer, grâce à des falsifications de carnets d’abattage, sur les étals de boucheries chevalines.

Une convention internationale souligne pourtant que tout animal ayant servi à des programmes scientifiques ne peut être destiné ensuite à la consommation humaine.

  • Janvier 2013 : des lasagnes à la viande de cheval

L’affaire éclate au début de l’année 2013. Les autorités sanitaires britanniques découvrent que des steaks hachés certifiés « pur bœuf, produits en Irlande » contiennent en réalité de la viande de cheval.

Alerté par un sous-traitant, le géant suédois Findus conduit des tests sur ses produits et annonce début février avoir trouvé de la viande équine dans ses lasagnes, d’abord au Royaume-Uni puis en France. L’entreprise retire aussi par précaution ses moussakas et ses hachis parmentier dans plusieurs pays européens.

L’entreprise qui a produit les lasagnes est française, basée à Metz (Moselle) : Comigel. La société fabrique des plats préparés pour au moins vingt-huit entreprises dans treize pays, dont différents gros distributeurs tels que Picard, Carrefour, Auchan, Monoprix, etc. Son fournisseur de pain de viande est aussi français : Spanghero, situé dans le sud-ouest de la France.

Les produits surgelés contenant des produits carnés sont soupçonnés, en janvier 2013. / CHARLY TRIBALLEAU / AFP

C’est cette société de transformation de viande qui est accusée d’avoir changé l’étiquetage de la viande de cheval roumaine en « viande bœuf origine UE ». Selon l’agence française antifraude (la DGCCRF), ce sont 750 tonnes de viande faussement étiquetées qui sont sorties de l’usine de Spanghero.

S’il est sans conséquence sur la santé des consommateurs européens – au moins six pays affirment avoir trouvé du cheval dans leurs produits surgelés –, le scandale a montré la complexité du circuit commercial suivi par la viande en Europe. Elle avait ainsi été achetée en Roumanie par l’intermédiaire d’un trader chypriote, via une boîte postale belge, et stockée aux Pays-Bas.

  • Novembre 2012 : Ikea et la matière fécale

Le géant suédois de l’ameublement se retrouve empêtré dans un scandale sanitaire. Des tests effectués par des inspecteurs sanitaires des douanes chinoises révèlent que des gâteaux au chocolat, vendus à la cafétéria de l’enseigne, contenaient des bactéries coliformes, laissant suspecter une contamination aux matières fécales.

La France figurait parmi les vingt-trois pays concernés par la mise en vente de ce produit. Ikea avait immédiatement retiré ces gâteaux de la vente, mais 6 000 tartelettes contaminées avaient déjà été consommées dans l’Hexagone.

  • Mai 2011 : les graines germées tueuses

La psychose du début d’été 2011 est à la mesure de ses conséquences : 47 morts, pour la plupart allemands, et 4 000 malades dans douze pays différents. La crise sanitaire se caractérise par une épidémie de gastro-entérites dues à la bactérie Escherichia coli, d’une ampleur sans précédent. Cette bactérie intestinale, très commune chez l’être humain, présente certaines souches extrêmement pathogènes.

D’abord attribué à un « concombre tueur » venu du sud de l’Espagne, les tomates sont ensuite soupçonnées de véhiculer la bactérie, puis des salades. Après des semaines d’enquête, l’origine du scandale est finalement attribuée à une ferme biologique allemande productrice de graines germées, située à Bienenbüttel (Basse-Saxe).

Selon l’Institut fédéral de veille sanitaire (RHKI) en Allemagne, la conclusion de l’enquête n’est pas présentée comme irréfutable, mais plutôt comme le produit d’une « chaîne d’indices tellement importante » et d’une absence « d’autre piste sérieuse ». Six ans après les faits, on ignore toujours ce qui, dans la chaîne de production, a pu conduire à une contamination.

En France, les ventes de légumes crus, notamment les concombres, s’effondrent. Les commissaires européens chargés de l’agriculture et de la santé débloquent une aide de 210 millions pour couvrir les 70 % des pertes.

La bactérie a fait 47 morts, pour la plupart allemands, et 4 000 malades dans douze pays différents. / INGO WAGNER / AFP

  • Mai 1999 : du poulet à la dioxine

Les premiers soupçons démarrent au début de l’année 1999, en Belgique. La mort de nombreux poulets ainsi que la perte d’œufs d’élevage qui n’ont pas éclos inquiètent les éleveurs. A la fin d’avril, les analyses parlent : on y trouve des traces de dioxine jusqu’à 100 fois supérieures à la norme imposée par l’Organisation mondiale de la santé.

En cause, l’alimentation de ces volailles, avec un nutritif contenant de l’huile alimentaire mêlée à de l’huile de vidange. D’autres élevages de pays voisins sont rapidement concernés, notamment en France, en Allemagne et aux Pays-Bas.

La panique s’empare des consommateurs, et les supermarchés vident leurs étals. Les dioxines et les furanes sont des substances chimiques dérivant de la combustion de matériaux organiques. Sur un total de 210 types de dioxines ou de furanes (poly) chlorés, dix-sept sont estimés toxiques à des degrés divers. Depuis février 1997, les dioxines TCDD sont classées cancérigènes pour l’homme par le Centre de recherche sur le cancer (CRC).

Plusieurs autres épisodes de contamination à la dioxine suivront, notamment de la viande de porc irlandais en 2008, ou de la mozzarella, à cause de la contamination du lait des bufflonnes de la région de Naples, dont l’environnement est infecté par les déchets.

  • Année 1996 : la psychose de la « vache folle »

Le premier cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) est détecté au Royaume-Uni en 1986. Il s’agit de la maladie dite « de la vache folle », terme évocateur des symptômes présentés par l’animal en phase terminale de la maladie : anomalies de locomotion (démarche vacillante, perte d’équilibre), troubles du comportement (nervosité, agressivité), hyperexcitabilité (au bruit, au toucher, à la lumière). Cette infection mortelle est, en effet, une dégénérescence du système nerveux central. Sa durée d’incubation est de cinq ans en moyenne.

La cause de cette maladie est rapidement identifiée : l’alimentation. L’ESB s’est, en effet, propagée parmi les bovins par leur nourriture comportant des farines de carcasses et d’abats d’animaux (bovins ou ovins) atteints d’encéphalopathie spongiforme. L’interdiction de ces farines animales a d’ailleurs considérablement ralenti la courbe de l’épidémie bovine britannique. Mais l’infection touchera autour de 200 000 bovins.

La panique atteint le grand public quand les scientifiques établissent une transmission de l’animal à l’homme par le biais de la consommation de viande. La maladie de Creutzfeldt-Jakob s’invite à la « une » des médias et fait officiellement 204 morts.

Des centaines de milliers de bovins sont alors abattus, un embargo est imposé sur le bœuf britannique et les farines animales sont interdites (à nouveau autorisées depuis 2013 pour l’élevage de poissons).

  • 1981 : l’huile de colza frelatée

Cette intoxication alimentaire reste l’une des plus graves du siècle, avec près de 1 000 morts et 25 000 personnes malades, dont 5 000 handicapées à vie. Des huiles de colza contenant de l’aniline (un dérivé du benzène), en théorie réservées à l’industrie, avaient été vendues comme huile de table sur les marchés pendant des années par de petits entrepreneurs véreux. Ils furent condamnés à de lourdes amendes après des années de procès.