sain Bolt, lors de la finale du relais 4 × 100 m aux Jeux olympiques de Rio (Brésil), le 19 août 2016. ERIC FEFERBERG/AFP / ERIC FEFERBERG / AFP

Cette fois, c’est la « der ». Samedi en fin de soirée, Usain Bolt tentera de poser la cerise sur un gâteau londonien jusqu’à présent un peu amer, lors du relais 4 x 100 mètres des championnats du monde, son ultime apparition en compétition. Battu en finale du 100 m par les Américains Justin Gatlin et Christian Coleman, samedi 5 août, le sprinteur aux onze titres mondiaux espère en ajouter un douzième et ne pas se contenter de réussir son tour d’honneur. La tâche s’annonce délicate.

La force de l’habitude plaide en faveur d’une issue heureuse. Voilà neuf ans que cela dure : presque une décennie qu’au terme du tour de piste bouclé à toute allure entre les relayeurs, un seul pays rafle la mise chez les hommes. La Jamaïque de Bolt. En grands championnats, il faut remonter aux Mondiaux d’Osaka de 2007 pour trouver un autre pays au sommet – les Etats-Unis. Certes, l’or des Jeux de Pékin en 2008 a été réattribué huit ans plus tard à Trinidad-et-Tobago, après le contrôle antidopage positif de Nesta Carter, l’un des relayeurs jamaïcains. Mais pour le reste, le règne a été sans partage.

« Personne en Jamaïque ne s’entraînait au passage de témomoin. Notre attitude était désinvolte »

Dans cette épreuve collective, l’équation a souvent semblé simple, voire simpliste, pour la Jamaïque : l’addition des sprinteurs les plus talentueux suffisait au succès. Aux Jeux de Rio, en 2016, à l’issue de la finale, un journaliste avait demandé aux Japonais, médaillés d’argent, comment ils s’étaient préparés. Alors que l’un des relayeurs détaillait les séances de passage de témoin minutieusement répétées, Usain Bolt ne put s’empêcher de s’esclaffer. Un éclat de rire qu’il expliqua ainsi : lui ne s’était quasiment pas entraîné avec ses coéquipiers.

En avait-il vraiment besoin ? Lors des Jeux de Londres, il y a cinq ans, le relais jamaïcain présentait deux finalistes du 100 m – Bolt et Yohan Blake – et s’offrait le luxe de se priver d’un troisième finaliste, Asafa Powell, blessé. Malgré l’absence du recordman du nombre de 100 mètres sous les dix secondes, le quatuor jamaïcain établissait la meilleure performance de l’histoire (36’’ 84), une marque qui tient toujours.

« Etreint par le doute »

A en croire Usain Bolt dans son autobiographie Plus rapide que l’éclair (éd. Arthaud), le travail collectif a toujours été quasiment inexistant. « Le plus drôle était que nous ne nous étions pas préparés du tout, affirme-t-il ainsi à propos des Jeux de Pékin. Personne en Jamaïque ne s’entraînait jamais au passage de témoin, et parce que nous étions très rapides, nous prenions la victoire pour acquise. Notre attitude était désinvolte : “On se débrouille toujours bien ; même si nos transmissions sont un peu hésitantes, pas de souci.” En y repensant, on avait dû travailler nos passages de témoins trois fois cette année-là, et l’une de ces séances avait eu lieu au village [olympique]. » Une stratégie risquée, alors que les sprinteuses jamaïcaines avaient fait tomber leur bâton quelques minutes avant eux, Usain Bolt admit à Pékin un rare moment de frayeur, lui d’ordinaire si sûr de lui. « Je faisais le virage pour la première fois dans un relais, et Michael [Frater] arrivait comme une balle dans la ligne droite opposée. J’étais étreint par le doute. »

Depuis, l’homme le plus rapide du monde a pris la position du dernier relayeur, jadis dévolue à Asafa Powell. La place du roi. Le dernier maillon de la chaîne, propice à aimanter la pression comme la gloire en cas de succès. Une place, aussi, où la coordination et le travail collectif sont moins prépondérants. « Bolt est le finisseur, et, de ce fait, il a moins besoin de travailler la donne et la prise, analyse Djamel Boudebibah, ancien manageur des relais des équipes de France. Ce rôle de quatrième relayeur est psychologiquement très important. Mais au niveau technique, il n’y a qu’une prise à assurer, alors que le premier relayeur doit gérer le départ et la donne, le second une prise de bâton et une donne, tout comme le troisième. »

Pour le technicien français, rien ne serait toutefois plus faux que de penser que les Jamaïcains ne préparent pas leur relais. « C’est un mythe, comme avec les Américains, explique-t-il. Ils font toujours un stage terminal tous ensemble, trois semaines avant les grandes échéances. Pendant tout ce temps, ils travaillent le bâton. »

« Délirer tous ensemble »

Certes, il est souvent arrivé à Bolt de sécher ce genre de réunions ou de n’y participer qu’a minima. Mais comme ses compatriotes, il a connu ce type d’épreuves dès ses débuts en athlétisme. « Il y a une culture du relais en Jamaïque. Il y a en a dans toutes les écoles et lors des championnats scolaires », rappelle Boudebibah.

Le futur retraité des pistes n’a d’ailleurs jamais dû se forcer pour y participer : « Quand on court le 100 et le 200 m, explique-t-il, on est seul ; or j’ai l’esprit d’équipe – c’est pour ça que j’aimais le cricket, enfant. J’adore me retrouver avec les autres coureurs de relais dans les autres compétitions. Rien n’est plus sympa que de traîner et de délirer tous ensemble. » C’est d’ailleurs le bâton du relais champion olympique qu’il avait voulu ramener comme souvenir des JO de Londres. Il y était finalement parvenu, après les réticences initiales des officiels.

Usain Bolt sur la troisième marche du podium des Mondiaux d’athlétisme à Londres, le 6 août. REUTERS/Kai Pfaffenbach / KAI PFAFFENBACH / REUTERS

Ces dernières années, Usain Bolt avait pris l’habitude de ne participer qu’à la finale et de s’épargner les séries du relais. Il devait faire une exception samedi matin. La preuve que Bolt veut profiter à fond de sa dernière journée sur une piste. Mais aussi, peut-être, que les Jamaïcains ne sont plus aussi sereins ni souverains que par le passé.

Leur marge sur la concurrence a fondu. Aux côtés d’un Bolt sur le déclin, Yohan Blake n’est plus aussi fringant. Les Américains, derrière leurs têtes d’affiches Gatlin et Coleman, disposent d’un réservoir de sprinteurs plus important. Comme il y a une semaine, ils n’auront aucun scrupule à gâcher le relais final de l’idole jamaïcaine.