A Londres, le 25 juin 2016. / JUSTIN TALLIS / AFP

Editorial du « Monde ». Et si les « experts », tant dénigrés par les partisans du Brexit, avaient finalement raison ? Progressivement, leurs sombres prédictions sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne se concrétisent.

L’économie britannique est en plein ralentissement, avec une croissance de l’ordre de 0,3 % par trimestre, deux fois plus faible qu’au moment du référendum en juin 2016. Les ménages réduisent leur consommation. Les grandes entreprises ralentissent leurs investissements, ne sachant pas de quoi l’avenir sera fait. Et la plupart des grandes banques de la City annoncent l’emplacement de leur siège post-Brexit : Francfort domine, mais Paris, Amsterdam, Dublin et Madrid recueillent aussi les faveurs de quelques établissements.

Il ne faut pas grossir le trait. On est loin d’une récession, et le nombre de banquiers qui vont quitter la City ne devrait pas dépasser une quinzaine de milliers, dans un premier temps. Le Royaume-Uni peut faire face à ce genre d’à-coup. Du moins pour l’instant. Car ce n’est qu’une première étape. Les experts honnis avaient prédit une dégradation en deux temps : d’abord des remous pendant l’actuelle période de transition, puis, après la sortie effective de l’Union européenne, des problèmes économiques dont l’ampleur dépendra du type d’accord que Londres trouvera avec Bruxelles.

Or, de ce côté-là, ça patine sérieusement. Les négociations officielles ont commencé depuis bientôt cinq mois. Michel Barnier, le négociateur européen, a prévenu : tout doit être bouclé d’ici à octobre 2018, pour laisser ensuite le temps aux Vingt-Sept de ratifier l’accord. Il reste donc à peine plus d’un an pour parvenir à un accord.

Pourtant, le gouvernement britannique n’a toujours pas défini clairement sa position de négociation. Il a bien fait part de deux objectifs : sortir du marché unique européen et de l’union douanière. Mais la façon précise d’y arriver reste d’un flou complet. Londres n’a publié qu’un seul document détaillé, concernant le sort des expatriés européens après le Brexit, immédiatement jugé insuffisant par Bruxelles.

« La porte de derrière

Cette semaine, alors que la première ministre, Theresa May, rentre de vacances, deux autres documents devraient enfin être rendus publics : l’un sur la situation très compliquée de l’Irlande du Nord, l’autre sur la question de l’union douanière. Rien n’est en revanche attendu sur le sujet crucial de la facture du divorce à payer à l’UE, dont Bruxelles a pourtant fait un préalable dans ces négociations.

Le flou des Britanniques est partiellement tactique, pour éviter de se dévoiler trop vite. Mais c’est aussi le reflet de profondes divisions politiques internes. Mme May est très affaiblie par son revers aux législatives de juin et l’été a été émaillé de controverses publiques entre ministres, les uns plaidant pour une longue période de transition, jusqu’en 2021 ou 2022, les autres craignant qu’un tel délai soit un piège pour rester dans l’UE « par la porte de derrière ».

Cette situation chaotique, alors que le compte à rebours des négociations est enclenché, augmente le risque de voir le Royaume-Uni sortir de l’UE, fin mars 2019, sans aucun accord. S’il n’est pas le plus probable, ce scénario ne peut plus être exclu. Il serait catastrophique économiquement, sans même évoquer ses répercussions politiques et géopolitiques. Pour le plus grand malheur des Britanniques, les experts pourraient de nouveau voir leurs prévisions négatives confirmées.