L’avis du « Monde » – à voir

Après un stupéfiant montage d’archives réorchestrant la gestation de la Fraction armée rouge (Une jeunesse allemande, 2015), Jean-Gabriel Périot, qui œuvre depuis près de quinze ans dans le cadre du court-métrage expérimental, franchit avec Lumières d’été le cap du long-métrage de fiction. Ce nouveau film ne solde pas pour autant ses comptes avec la pratique documentaire, puisque celle-ci s’invite dès l’ouverture, dans une scène bouleversante qui vaut à elle seule le détour.

Sur un plateau aménagé, un réalisateur japonais, entouré d’une équipe française, recueille le témoignage d’une survivante de la bombe atomique à Hiroshima. Dans le récit intense qu’en fait la vieille femme, le tableau du désastre se mêle indistinctement aux souvenirs intimes, comme une déflagration survenue dans la trame ordinaire du quotidien. Si la séquence est jouée, notamment par la mime Mamako Yoneyama dans le rôle de la rescapée, elle n’en annonce pas moins un rapport ombilical entre la fiction et la réalité historique.

A la suite de cette puissante entrée en matière, on bascule dans une autre partie complètement différente, qui constitue le corps du film ; au confinement du studio et à la gravité de l’histoire succèdent l’extérieur rayonnant de l’été et l’insouciance d’une promenade. Secoué par ce qu’il vient d’entendre, Akihiro (le francophone Hiroto Ogi, vu dans Les Rues de Pantin, de Nicolas Leclère), réalisateur de reportages pour la télévision, marche dans un parc et rencontre Michiko (Akane Tatsukawa), une jeune femme au charme suranné.

Voyage impromptu en train

Il oublie tout – son tournage, son équipe, son producteur, son retour pressant à Paris, ses ambitions jamais concrétisées – et passe la journée avec elle, à déambuler au hasard des rues ensoleillées d’Hiroshima, puis dans un petit village du littoral. La traversée des lieux réactive la mémoire historique et personnelle de Michiko, qui, avec son accent et son yukata démodés, semble venue d’un autre temps.

Dans le sillage d’un précédent court-métrage de Périot, 200 000 fantômes (2007), lui-même au sujet d’Hiroshima, le projet du film est ainsi d’établir un équilibre fragile entre deux temporalités disjointes, mais qui s’affectent mutuellement : d’une part, l’instantanéité de la rencontre amoureuse, et, d’autre part, le passé traumatique qui affleure à la surface du paysage urbain. Dès lors, Lumières d’été réunit quelques beaux passages suspendus, comme ce voyage impromptu en train, où la mer s’invite à l’horizon, ce chant mélancolique de Michiko (dont Périot ne filme que les mouvements de la main).

Si le film ne tient pas ses promesses, c’est parce que la spontanéité de la promenade s’accorde mal avec certaines articulations du scénario

Si le film ne tient toutefois pas ses promesses, c’est parce que la spontanéité de la promenade s’accorde mal avec certaines articulations du scénario, qui donnent à l’orchestration du hasard quelque chose de trop concerté (la rencontre « inopinée » avec un homme et son petit-fils). De même, la pente intangible du récit est parfois appesantie par une volonté de trop en dire, comme en ce qui concerne le statut trouble de Michiko – peut-être seulement une apparition, un rêve ou un fantôme.

Bien qu’inégal, Lumières d’été n’en demeure pas moins une tentative atypique de fiction franco-japonaise, qui ne s’aventure à marier les contraires que pour gagner autant en légèreté qu’en profondeur, et rendre justice aux douleurs du passé sans piétiner les droits précieux de l’instant présent. Voilà qui est assez rare pour mériter d’être salué.

Film français et japonais de Jean-Gabriel Périot. Avec Hiroto Ogi, Akane Tatsukawa, Yuzu Hori (1 h 23). Sur le Web : www.potemkine.fr/Potemkine-film/Lumieres-d-ete-un-film-de-jean-gabriel-periot-lumieres-d-ete/pa61m4f297.html