Violences à Charlottesville : pour Trump, la responsabilité est "des deux côtés"
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Editorial du « Monde ». Qu’ils le veuillent ou non, les Américains ont été obligés de s’habituer aux provocations assumées, aux saillies à l’emporte-pièce et aux Tweet intempestifs de Donald Trump, incessants depuis son installation à la Maison Blanche, il y a huit mois. Mais il semble bien que la tempête soulevée depuis quatre jours soit en passe de créer une rupture irrémédiable entre le président des Etats-Unis et les valeurs fondamentales qu’il est censé incarner et défendre.

L’affaire, on le sait, remonte au samedi 12 août. Ce jour-là, l’extrême droite américaine la plus activiste – suprémacistes blancs, néonazis, antisémites et membres du Ku Klux Klan, nombre d’entre eux lourdement armés – avait décidé, après plusieurs rassemblements ces derniers mois, de faire une démonstration de force à Charlottesville (Virginie). Le prétexte était la défense de la statue de Robert E. Lee, chef militaire des sudistes durant la guerre de Sécession, que la municipalité a décidé de déboulonner.

Mais pour cette « alt-right » raciste, encouragée par l’élection de Donald Trump, il s’agissait de se compter et de frapper les esprits. Après des affrontements violents avec les militants antiracistes, la démonstration s’est terminée de façon dramatique, un jeune manifestant d’extrême droite ayant foncé avec sa voiture dans la foule, tuant une jeune femme et blessant gravement une vingtaine de personnes.

Malaise et indignation

La réaction du président américain, comme souvent erratique et imprévisible, menace désormais de cristalliser contre lui une indignation qui dépasse largement le camp de ses opposants politiques. Dès le lendemain des affrontements de Charlottesville, Donald Trump a renvoyé dos à dos les deux camps, condamnant de la manière la plus ferme « cette énorme démonstration de haine, de sectarisme et de violence venant, a-t-il martelé, de diverses parties ».

Devant le malaise et l’indignation provoqués par cette déclaration, le président américain a semblé changer d’attitude. Lundi 14 août, la Maison Blanche rendait publique une déclaration assurant que sa condamnation de la veille incluait « bien sûr, les suprémacistes blancs, le Ku Klux Klan, les néonazis et tous les groupes extrémistes ». Mais le naturel est revenu au galop, mardi.

Comme exaspéré par les multiples commentaires jugeant sa réaction tardive et ambiguë, M. Trump a réitéré son premier jugement. Depuis sa Trump Tower new-yorkaise, il a réaffirmé qu’il y avait eu, à Charlottesville, « des torts des deux côtés », mettant sur le même plan l’extrême droite et une extrême gauche (une « alt left » inventée pour l’occasion) « très très violente ». L’un des responsables du Ku Klux Klan n’a pas tardé à saluer cette condamnation des « terroristes de gauche », tandis que plusieurs responsables des républicains, et jusqu’au chef des marines, dénonçaient ce nouveau revirement.

Car la faille est profonde. En établissant une équivalence entre les mouvements antiracistes et une extrême droite pure et dure (qui l’avait ostensiblement soutenu durant sa campagne et dont il avait déjà tardé, à l’époque, à se démarquer), Donald Trump assume une transgression sans précédent. Il a été élu à l’instinct, en rupture avec l’histoire des Etats-Unis et en guerre contre la « bien-pensance », surfant sur les mauvais démons d’une Amérique blanche hérissée par sa transformation en une nation multiculturelle. Il entend, à l’évidence, user des mêmes ressorts pour gouverner le pays. Pour le meilleur, veut-il croire. Pour le pire, hélas.