Depuis trois semaines, Charles Oputa, figure punk contestataire au Nigeria, réunit tous les jours dans un parc de la capitale, Abuja, quelques dizaines de partisans pour demander au président Muhammadu Buhari, absent depuis cent jours du Nigeria, de démissionner.

Mardi 15 août, ils ont décidé d’aller encore plus loin : jusqu’au grand marché de Wuse, fréquenté essentiellement par des Haoussa musulmans du Nord, comme M. Buhari. La provocation de la vedette igbo du Sud n’a guère été appréciée. « Charly Boy », est reparti en courant, sous les jets de pierre, abandonnant sa BMW décapotable au sort de la foule : sa verve anti-Buhari n’était pas la bienvenue.

Cet incident, certes minime à l’échelle d’un pays tel que le Nigeria, symbolise parfaitement les tensions entre le Nord et le Sud, entre musulmans et chrétiens, notamment autour de la question de la démission du président de 74 ans, et la manière dont elles peuvent très vite escalader. « Avec toutes les tensions qu’il y a dans le pays, il n’aurait pas dû venir dans le marché », a confié à l’AFP un officier de police qui a fui les lieux pour des raisons de sécurité. « Ces gars-là, ils peuvent le tuer, mettre le feu à sa voiture », lâche un passant.

Mais pour Charly Boy, l’absence du président Buhari a dépassé les limites. Malade, le chef de l’Etat est parti à Londres le 7 mai – après déjà y avoir effectué un premier séjour entre janvier et mars –, déléguant le pouvoir, comme le veut la Constitution, à son vice-président, Yemi Osinbajo, un chrétien du Sud. « Il sera absent encore combien de temps ? », s’interroge Charly Boy avec sa veste de motard et son bandana noir et blanc. « Donnez-nous quelqu’un qui peut faire le job. »

« J’obéis aux ordres des médecins »

Figure controversée au Nigeria, Charles Oputa affirme qu’il n’a jamais souhaité être ce « quelqu’un » et qu’il n’a aucune ambition politique. Mais c’est lui qui est à l’origine du mouvement #ReturnOrResign et #OurMumuDonDo (« notre crédulité a des limites », en pidgin), qui trouve de plus en plus d’écho, notamment sur les réseaux sociaux. Dans les médias, les éditorialistes s’emportent dans des chroniques quasi quotidiennes.

Alors, depuis quelques jours, les proches du président redoublent d’efforts pour soigner son image. Les photos sporadiques, de mauvaise qualité, où il apparaissait affaibli ne suffisaient plus. Le week-end dernier, une délégation du ministère de l’information lui a rendu visite à Londres, publiant une photo où le président apparaît souriant et en bonne santé. « Je vais bien. Je pourrais même rentrer à la maison, mais j’obéis aux ordres des médecins », aurait-il dit à ses porte-parole, qui en ont publié un court communiqué dans la foulée.

Des membres du mouvement Our Mumu Don Do (« notre crédulité a des limites ») demandent au président nigérian de « reprendre [son poste] ou de démissionner », le 7 août 2017, à Abuja. / AFOLABI SOTUNDE/REUTERS

Les manifestations de Charly Boy ont été rapidement éclipsées par les pro-Buhari. Lundi, seize bus remplis de jeunes musulmans de Kano sont descendus à Abuja, faisant face aux opposants et à leurs pancartes. Les organisateurs, interrogés par l’AFP, ont assuré que ce contingent de partisans était spontané et qu’il n’avait pas été sponsorisé par l’All Progressives Congress (APC), le parti du président. « La Constitution est de notre côté et permet au président de s’absenter pour des raisons médicales, explique Adeshina Luckman, 36 ans. En ce qui me concerne, je ne vois aucune vacance de pouvoir. »

« Sa démission ne rentre pas dans l’équation »

Pour la plupart des Nigérians, toutefois, son absence « ne fait pas une grande différence ». « Ceux qui le représentent devraient être en mesure de faire son travail », explique Amaka Anthony, 43 ans, institutrice à Abuja, engagée dans les mouvements de droits des femmes. En effet, son remplaçant, Yemi Osinbajo, n’a pas manqué à sa tâche depuis le départ du président. La lutte contre la corruption se poursuit, avec plusieurs propriétés de l’ancienne ministre du pétrole saisies, les pourparlers avec les groupes armés du Delta sont engagés et ont permis de stabiliser – pour le moment – la région pétrolière. Mais il n’est pas le président, affirment les observateurs. Et son champ d’action reste limité.

Femi Gbajabiamila, représentant du parti présidentiel au Parlement, concède que « les gens ont le droit de se plaindre ». Mais de trancher, sans équivoque : « Sa démission ne rentre absolument pas dans l’équation. »

En 2010, lorsque le président Umaru Yar’Adua avait disparu pendant des mois, avant d’être finalement annoncé mort à son retour d’Arabie saoudite, Muhammadu Buhari, qui était alors dans l’opposition, avait demandé que la vérité soit faite sur son état de santé. Dix-sept ans plus tard, les Nigérians semblent avoir compris que leurs demandes ont peu de chance d’être entendues.