« Vous voulez venir ?… Je vous donne mon SnooCode alors… CJJFNN. Si vous avez un souci, rappelez-moi. » Pour Sesinam Dagadu, jeune entrepreneur ghanéen à l’origine d’une start-up en plein développement, s’il s’agit de discuter de SnooCode, autant commencer par la preuve par l’exemple.

Son application mobile doit permettre, en générant un code unique pour chaque endroit grâce au système de géolocalisation des smartphones, de remplacer les adresses, à peu près inexistantes. Finalement, après une heure et demie dans le trafic d’une fin de journée pluvieuse à Accra, on monte une côte dans le quartier plutôt huppé de McCarthy Hill, un chemin cabossé à gauche et on arrive à un portail. Test un peu forcé mais réussi.

Présentation de notre série : L’Afrique en villes

SnooCode ? Cela fait maintenant près de dix ans que le trentenaire travaille sur ce projet. Tout a commencé quand, encore étudiant en Angleterre, il fait sa « crise de la quarantaine, un peu en avance », et revient travailler au Ghana. Il est embauché à Ecobank et découvre à quel point le manque d’adresses formelles est bloquant.

Car au Ghana, comme dans de nombreux pays en développement, les adresses avec code postal, nom de rue et numéro restent du domaine du virtuel. Le gouvernement a certes lancé, il y a quelques années, un vaste programme pour nommer les rues : dans certains quartiers, on voit maintenant des panneaux, mais personne ne les connaît. Et il n’y a toujours aucun numéro. Alors chacun se débrouille et on utilise des repères : tu vas au mall d’Accra, à l’université X, ensuite tu remontes la rue, première à droite, puis quatrième maison…

Des chiffres et des lettres

Sesinam Dagadu a eu l’idée de son projet après avoir pris la photo d’une vendeuse ambulante, panier sur la tête et téléphone à la main.

« Si quelqu’un qui ne sait peut-être pas lire détient un outil puissant qui peut faire des calculs compliqués pour lui, pourquoi ne pas mettre en place un système pour générer un code unique pour chaque endroit, qu’on peut ensuite utiliser comme adresse ? J’ai donc décidé de créer une application pour ça. »

De retour en Angleterre pour boucler ses études, il commence à étudier le projet. Il veut absolument que ce système soit accessible à tous. Plusieurs manières d’écrire ce code ont été testées.

« On a même pensé aux couleurs, mais dans la plupart des langues africaines il n’y a que trois ou quatre couleurs, pour les autres il faut passer par des périphrases : le vert c’est la couleur des feuilles, le bleu la couleur des dieux… Les mots aussi posaient problème, parce que de nombreuses personnes au Ghana sont illettrées. Finalement, utiliser l’alphabet et les chiffres de 0 à 9 s’est révélé le plus facile : tout le monde connaît les chiffres, et la plupart connaissent les lettres. En plus, cela rend le système flexible : on pourrait l’utiliser aussi bien dans des pays anglophones, francophones, lusophones… Et pour les autres alphabets, comme l’amharique en Ethiopie, on a développé une traduction. »

Son principal fait d’armes ? La mise en place d’une version simplifiée de son appli pour toutes les ambulances du grand Accra et de la région Ashanti, financée grâce la fondation Vodafone. Aujourd’hui « 8,7 millions de personnes vivant dans ces régions peuvent en profiter », annonce Sesinam Dagadu, pas peu fier. Même s’il admet qu’à défaut de campagne de sensibilisation, peu de personnes l’utilisent effectivement. « C’est un outil important, qui permet de savoir où se trouvent les gens, mais cela ne suffit pas : il faut que l’ambulance ne soit pas en panne, que la route soit praticable, qu’il reste de l’essence… » En plus, peu connaissent l’existence de SnooCode et tous se méfient des ambulances, plus souvent utilisées comme corbillards. On préfère donc le taxi pour aller à l’hôpital…

Néanmoins, des personnes s’emparent peu à peu de cette application bien pratique : on compte 15 000 téléchargements au Ghana, dont beaucoup de particuliers mais aussi des petites entreprises, des ONG qui l’utilisent pour organiser des livraisons, des églises pour des visites de paroissiens…

Version panafricaine

L’idée est d’étendre l’appli à l’Afrique entière. Lorsqu’on rencontre Sesinam Dagadu, fin juin, à peine 72 heures avant le lancement de la version bêta panafricaine, le jeune entrepreneur n’est pas du tout paniqué, et même plutôt disponible pour raconter son parcours.

« Ses » a commencé tout seul en 2013 à Accra, après avoir terminé ses études en Angleterre : « Moi et mon ordi, à coder toute la journée. » Son ancien employeur londonien venait de le financer pour qu’il puisse lancer son projet : « Assez d’argent pour bosser deux ans. » Huit personnes travaillent maintenant dans la start-up.

Sesinam Dagadu (au centre), le fondateur de SnooCode, dans une rue d'Accra, capitale du Ghana, en juillet 2017. / Narcisse Akomatsri

Depuis 2011, le projet a déjà accumulé les prix. Cette année, il a été sélectionné parmi les quinze start-up les plus prometteuses en Afrique par l’Académie royale d’ingénierie du Royaume-Uni, puis, fin juin, pour l’Africa Tech Pitch London : « Une excellente opportunité pour se faire connaître des investisseurs potentiels », dit Sesinam Dagadu.

Si l’expérience des ambulances n’est pas encore vraiment concluante, elle a déjà attiré l’attention d’autres organismes, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui voit dans cette appli un outil qui pourrait se révéler très utile, par exemple, pour lutter contre la propagation d’une épidémie. « Ses » imagine déjà d’autres développements : drones, restaurants, systèmes de livraison et même certifications. Et ensuite ?

« La domination du monde ! Non, je blague. Mais on est prêt à montrer au monde ce qu’est SnooCode et on a hâte de voir comment les habitants des villes africaines vont s’en emparer. Des alpinistes m’ont même contacté pour réclamer une version anglaise. Cela leur semblait intéressant pour faire appel à des secours. Effectivement, une fois l’appli chargée, pas besoin d’Internet ni du réseau de téléphone pour générer un code, il suffit d’un téléphone équipé d’une puce GPS. »

Mais l’Europe n’est pas la priorité, il faut d’abord s’atteler aux pays en développement. Après l’Afrique, le prochain continent sur la liste serait l’Asie.

Lever des fonds

Sesinam Dagadu admet que lancer une start-up au Ghana, « c’est compliqué ».

« Ce qu’on considère normal en Europe, comme pouvoir allumer la lumière tous les matins, avoir une connexion Internet abordable et qui fonctionne, ne pas crouler sous la bureaucratie… c’est loin d’aller de soi ici. Et les jours de pluie comme aujourd’hui, Internet rame vraiment. Finalement, en quatre ans, j’aurais mérité un diplôme d’ingénieur en électricité à force de bidouiller les générateurs et les invertisseurs. »

Malgré tout, il n’est pas prêt de déménager.

« Il faut vivre ici pour comprendre les gens et ce qui est important pour eux. Si j’étais juste passé, j’aurais développé SnooCode à partir de ma réalité, privilégiée, du Ghana. En plus, si dans un endroit, comme le Ghana ou l’Afrique, il y a beaucoup de croissance et qu’on veut y participer, il faut y être. »

Maintenant, Sesinam Dagadu est « prêt à lever des fonds » et espère un premier tour de table d’ici la fin de l’année. Il recherche « des investisseurs prêts à mettre de l’argent et surtout à nous donner le temps de développer un business qui a du sens ».

Le sommaire de notre série « L’Afrique en villes »

Cet été, Le Monde Afrique propose une série de reportages dans seize villes, de Kinshasa jusqu’à Tanger.