La chancelière allemande Angela Merkel en campagne à Heilbronn, dans le sud de l’Allemagne, le 16 août. / THOMAS KIENZLE / AFP

En 2005, c’était sur Angie qu’elle entrait en scène. Douze ans plus tard, le public qui vient assister à ses meetings a toujours droit aux Rolling Stones mais, parmi les tubes qui précèdent ses arrivées, c’est désormais Satisfaction que crachent les haut-parleurs.

Il en était ainsi, mardi 15 août, à Cuxhaven (Basse-Saxe), petite station balnéaire située au bord de la mer du Nord où Angela Merkel est venue faire campagne pour les élections législatives du 24 septembre.

Entourée d’une poignée de dirigeants locaux de la démocratie-chétienne (CDU) et de quelques gardes du corps, c’est d’un pas décidé que la chancelière-candidate a traversé le parc où avait lieu le meeting avant de monter à la tribune, enchaînant les sourires avec une régularité de métronome, un coup à droite, un coup à gauche, mais sans s’attarder à serrer des mains.

Il faut dire qu’il était 17 h 08, donc que le programme avait déjà huit minutes de retard, ce qui est beaucoup pour un meeting prévu pour durer pile une heure afin de permettre à Mme Merkel de filer en hélicoptère à Brême, à 100 kilomètres de là, où une seconde réunion publique l’attendait, à 19 heures précises…

Risque d’abstention

Le timing sera finalement respecté. Une heure, c’est pourtant court quand il faut caser les mots des élus locaux qui ont tendance à faire un peu long pour dire tout le bien qu’ils pensent de cette chancelière grâce à qui « nous vivons dans le pays le plus sûr et le plus prospère qui soit » et qui a la simplicité de faire ses courses « dans le même supermarché » de Berlin que la femme de l’un d’eux.

En réalité, une heure s’avère suffisante. Car Mme Merkel, elle, n’a pas besoin de plus de trente minutes pour s’adresser aux quelque 2 000 personnes venues l’écouter. Son message ? D’abord, votez. « Ce n’est qu’une fois tous les quatre ans que vous pouvez décider ce que vous voulez pour votre pays pour les quatre ans qui viennent », assène la chancelière.

C’est dit d’un ton grave, on croirait presque un sermon. Comme si la fille de pasteur venait au secours de la femme politique pour conjurer le risque majeur du scrutin à venir : l’abstention de son propre électorat qui, à force de voir les sondages la placer quinze points devant son adversaire Martin Schulz – le président du Parti social-démocrate (SPD) –, pourrait être tenté de ne pas se déplacer.

Martin Schulz, justement. Son nom ne sera pas prononcé une seule fois. En campagne, Mme Merkel ignore ses adversaires. Elle préfère parler de son bilan, du chômage qui « a baissé de moitié en douze ans », de sa lutte contre la dette, « pas pour le fétichisme de l’équilibre des comptes publics mais pour que nous puissions investir pour nos enfants ».

Les réfugiés ? « Je tiens à remercier tous ceux d’entre vous qui se sont engagés en 2015 mais, en même temps, ce qui s’est passé cette année-là ne doit pas se reproduire », explique-t-elle, insistant sur la nécessité de lutter contre les causes de l’immigration et de n’accepter que les étrangers en situation régulière. L’Europe ? Trois phrases pour dire que, « oui, elle est parfois lente et bureaucratique », mais que « [la] renforcer, c’est renforcer l’Allemagne ».

« Elle fait le job »

Pendant ces trente minutes au pas de charge, il aura aussi été question de sécurité – la promesse d’étendre la vidéosurveillance aura été la plus applaudie –, du numérique, qu’il faut développer, du secteur automobile dont il faut « préserver les emplois » même si les constructeurs ont commis des « fautes », du « made in Germany qui a une bonne réputation dans le monde et qui doit [la conserver] », et enfin de ce pays « formidable » qu’est l’Allemagne, un « pays où il fait bon vivre », comme le dit le principal slogan de sa campagne.

Ce discours, à quelques variations mineures près, la chancelière candidate l’a prononcé pas moins de six fois dans six villes différentes depuis lundi. Et chaque fois, les réactions sont les mêmes parmi les 2 000 à 5 000 personnes du public.

Si l’on met de côté les militants de la CDU, inconditionnels, et les contempteurs viscéraux, peu nombreux mais bruyants, comme à Gelnhausen (Hesse), lundi – les sifflets des opposants aux éoliennes (dont Mme Merkel est une avocate) et ceux des militants du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne ont rendu inaudible son discours pour une partie de l’assistance –, le sentiment qui domine est celui d’une adhésion raisonnable, certes dénuée d’enthousiasme, qui peut suffire le jour du vote.

Ainsi de Bernd Schlenker, 68 ans. « Ça m’ennuie de toujours voter Merkel, j’aimerais changer, mais je crois que je vais encore voter pour elle parce qu’elle fait le job », dit cet ouvrier à la retraite, venu assister au meeting de Cuxhaven.

Comme beaucoup, Margita Wördemann, trois mètres plus loin, reconnaît volontiers que la candidate « ne propose pas grand-chose », mais « vu que le pays va bien, ce n’est pas si grave », pense-t-elle. « Dans ce monde aussi dangereux qui est le nôtre aujourd’hui, on a besoin de son sang-froid et de son expérience. »

« La stabilité dont on a besoin »

Voter Merkel ? Margarete Müller n’y avait jamais pensé avant. « Toute ma vie, j’ai voté SPD », dit cette quinquagénaire croisée, mercredi, à Coblence (Rhénanie-Palatinat). Cette fois, pourtant, elle « hésite très fort » car, dit-elle, « Merkel incarne la stabilité dont on a besoin face à des types aussi imprévisibles que Trump ou Erdogan ».

Deux jours plus tôt, à Gelnhausen, Markus, 31 ans, ne contestait pas cette qualité de la chancelière, mais pour lui cela ne suffit pas : « Oui, il y a des pays qui vont moins bien que nous. Oui, Merkel est respectable, et ce qu’elle a fait avec les réfugiés est à son honneur. Mais on a trop dormi, il faut que l’Allemagne se réveille, et je ne veux pas voter pour quelqu’un juste parce qu’il incarne le statu quo mais dont je n’arrive pas à savoir précisément ce qu’elle veut faire dans les quatre ans qui viennent à part rester au pouvoir. »

Reste que, comme la plupart des électeurs croisés sur la place du marché de Gelnhausen, dans la campagne de Francfort, à Cuxhaven, au bord de la mer du Nord, ou à Coblence, à la confluence entre le Rhin et la Moselle, et sans doute comme beaucoup de ceux qui assisteront aux quelque cinquante meetings du même format qu’elle a prévu de tenir d’ici au 24 septembre, Markus semble déjà s’être résigné à la voir l’emporter.

« Le problème est que je ne sens pas autour de moi une envie d’aventure. Or Merkel, c’est comme une soupe de lentilles. Ça n’est pas très drôle, mais on sait qu’on n’aura pas de mauvaise surprise. »