Minisérie sur Arte à 20 h 55

Anne Boleyn's arrest and trial - "Wolf Hall" - Claire Foy

Là où la série Les Tudors se voulait moderne et ­pétillante en suivant le jeune roi d’Angleterre Henry VIII dans toutes ses exubérances, Wolf Hall nous embarque dans les pas du conseiller personnel de ce même Henry, Thomas Cromwell. Né de rien du tout, il est devenu le deuxième personnage du royaume au mitan des années 1530. Aujourd’hui encore, des controverses opposent les historiens britanniques pour déterminer qui, du roi Henry VIII ou de son éminence grise Thomas Cromwell, a été à l’initiative des décisions politiques et religieuses capitales qui firent basculer l’Angleterre dans une ère nouvelle.

Grand spécialiste des Tudors, Sir Geoffrey Elton estime que Cromwell a été le grand novateur et marionnettiste de l’époque, grâce à l’oreille que lui prêtait Henry VIII. Même si d’autres pensent le contraire, la romancière Hilary Mantel, auteure des livres dont a été tirée la série, penche elle aussi pour cette hypothèse. Pourtant, jusqu’ici, Thomas Cromwell était communément assimilé à un traître et un tortionnaire, à un homme fourbe et cruel pour avoir fait décapiter ses adversaires, placé des espions dans chaque recoin du pays, et employé la terreur comme mode de gouvernance.

Mark Rylance (Thomas Cromwell). / GILES KEYTE/COMPANY PICTURES/BBC

En le montrant comme un grand serviteur de l’Etat quel qu’en fût le prix, les deux premiers opus de la trilogie littéraire sur Thomas Cromwell ont tant fait pour redorer son image qu’ils ont donné lieu à une adaptation par la Royal Shakespeare Company, elle-même produite à Broadway. Pour la télévision, une minisérie en six épisodes a été créée, Wolf Hall, récompensée dans sa catégorie par un Golden Globe en 2016. Les deux romans, quant à eux, Wolf Hall et Bring Up the Bodies, ont remporté le Booker Prize respectivement en 2009 et en 2012. Ils ont été publiés chez Sonatine sous le titre Le Conseiller (tomes I et II).

« Il aura été le premier haut fonctionnaire du pays [civil servant], commente le réalisateur, Peter Kosminsky. Non parce qu’il était comte de ceci ou duc de cela ou qu’il faisait partie de l’Eglise (seul moyen de devenir puissant lorsque, comme lui, on n’appartenait pas à la noblesse), mais par la seule force de ses capacités. Il est le premier fonctionnaire à avoir atteint le sommet de l’Etat grâce à son intelligence. Ne serait-ce que pour cela, il est intéressant. »

A cette époque où la torture est « aussi nécessaire que le sel l’est pour la viande », selon Hilary Mantel, être né fils de forgeron et devenir le personnage le plus écouté par le roi ne peut qu’inciter à la plus grande prudence. Tous les nobles de la cour n’attendent qu’une chose : piéger Cromwell, l’amener à faire un faux pas afin de prendre sa place. Le monarque lui-même, à qui Cromwell devient indispensable, rappelle à l’envi la fragilité et la fugacité du pouvoir dont jouit son protégé : « Ce que vous êtes, ce que vous possédez, vous me le devrez. (…) Croyez-vous que je vous aie promu pour le charme de votre présence ? Je vous garde parce que vous êtes un serpent. Mais ne vous comportez pas en vipère avec moi. »

Mensonge, flatterie, tromperie, propagande, désinformation et, surtout, calcul, tactique et stratégie, observation et silence seront les armes de cet homme qui escaladera l’échelle sociale au-dessus de la cour jusqu’à devenir l’agent le plus puissant de l’évolution politique et religieuse du pays.

Wolf Hall (1/6) - ARTE

En plaçant sa caméra sur l’épaule du conseiller du prince, le réalisateur fait bien mieux que nous introduire dans la chambre du roi : nous sommes avec lui dans l’antichambre du pouvoir, là où il choisit, par exemple, la prochaine jeune femme dont le roi tombera amoureux.

Cromwell, qui aura été mercenaire pour les Français, aura ­travaillé dans la banque à Florence et aux Pays-Bas puis été homme de loi auprès du cardinal Wolsey (grand chancelier du roi), fera ­office, une fois acquise la confiance de Henry VIII, de bras droit et de bras armé, de chef de cabinet, de diplomate et d’homme de l’ombre, sans oublier qu’il ne sera jamais que le fils « d’un querelleur et d’un castagneur » aux yeux de la cour.

Il fallait l’immense acteur de théâtre qu’est Mark Rylance pour assurer cette performance d’être de toutes les scènes, d’observer beaucoup, d’être souvent filmé en plan très serré, et de toujours intriguer en dépit de l’impassibilité qui sert de couverture (et d’assurance-vie) à Cromwell.

Tout dans cette série respire soin et qualité : de la troupe d’acteurs (dont le Britannique Damian Lewis – qui incarne Nicholas Brody dans Homeland, ici en Henry VIII – et Claire Foy, superbe Anne Boleyn) aux décors et costumes, jusqu’aux partis pris concernant la lumière. Les grandes baies vitrées qui apparaissent à l’époque en Angleterre inondent les pièces de soleil, tandis que les bougies, la nuit, ne percent que quelques petits trous de leur clarté.

Wolf Hall, minisérie adaptée par Peter Straughan et réalisée par Peter Kosminsky. Avec Mark Rylance, Damian Lewis, Claire Foy, Jonathan Pryce, Anton Lesser (6 × 60 min, Royaume-Uni, 2015). Trois épisodes par soirée,

les 17 et 24 août.