Les joueurs de Benevento fêtent leur montée en Serie A, le 8 juin. / CIRO FUSCO / AP

A Benevento, à une soixantaine de kilomètres de Naples, les sorcières se font plus nombreuses dans les rues que les habitants. Le thermomètre dépasse allégrement 40 °C en ce mois d’août et les rues se vident au plus chaud de l’après-midi. Seuls les rubans jaune et rouge et les drapeaux floqués de la strega, la « sorcière », symbole du club de football, qui décorent partout lampadaires et balcons témoignent de la ferveur qui couve. La belle histoire de Benevento, « la fable », comme l’écrivent les journalistes italiens, est une première dans l’histoire du football du pays. Un club qui n’avait encore jamais joué en deuxième division avant la saison dernière a réussi l’exploit d’enchaîner deux montées d’affilée, pour atteindre la Serie A. Et il fera ses grands débuts, dimanche soir, sur le terrain de la Sampdoria de Gênes.

Deux mois après la victoire contre Capri en barrages de Serie B, les 60 000 habitants de Benevento restent incrédules. « On a encore du mal à y croire. C’est allé tellement vite », déclare Angelo Izzo, tifoso, abonné depuis une quarantaine d’années. Sur son avant-bras, la date de la montée en Serie B tatouée en dessous d’une strega rouge et jaune est déjà de l’histoire ancienne. Cette saison, Benevento va défier les plus grands clubs d’Italie, la Juventus, le Milan AC, l’Inter. Ces clubs du Nord qui règnent sur le football italien depuis des décennies. Impensable il y a encore quelques mois.

« Ici, beaucoup de personnes supportaient Naples parce que c’est l’équipe de la région. Maintenant, notre équipe va jouer contre eux ! », s’enthousiasme Angelo, entouré d’une dizaine de retraités, membres du club de jeu de boules. Ici, comme dans les bars de la ville, le premier sujet de discussion tourne autour du club de football, des nouvelles recrues arrivées pendant l’été et des matchs à venir.

Antonello Izzo. / IRIS CHARTREAU

La « stregamania » s’empare de Benevento

Les inégalités économiques entre le nord et le sud de l’Italie se matérialisent parfaitement dans le football, le sport roi. Chaque saison seule une poignée d’équipes du Sud sont présentes en Serie A et Naples reste la seule ville du Sud avec Cagliari en 1970 à avoir gagné le championnat (1987 et 1990). Rares sont les Beneventani prêts à laisser passer l’occasion de voir leur club rivaliser avec les grands. La veille de l’ouverture des ventes d’abonnements, des dizaines de personnes ont campé toute la nuit avec matelas et sandwichs pour obtenir leur sésame.

Sur la place centrale du Rione Libertà, un quartier populaire du sud de la ville, le bar-tabac ne vend plus une place pour la curva sud. « C’est complet depuis une semaine, assure Maria Grazia la femme du gérant qui enregistre les paris des habitués. Il reste des places pour la tribune d’honneur à partir de 800 euros. Le prix a augmenté de 300 euros. Elles se vendront quand même. Il y a des gens qui ont renoncé à partir en vacances en famille cet été pour se payer l’abonnement ! »

A quelques centaines de mètres du stade, Vincenzo De Rosa, en tenue de chantier, dessine le contour d’une sorcière avec un modèle en carton. « Je fais des horloges de la sorcière depuis un mois. C’est un peu long à faire, mais j’en ai déjà vendu quarante » 15 à 25 euros l’horloge en fonction de la taille de la sorcière et des détails de la peinture. « Avec les horloges j’ai payé mon abonnement ! », ajoute Vincenzo, fier de son petit commerce qui arrondit son salaire de carreleur.

La « stregamania » s’est bel et bien emparée de Benevento. Les tee-shirts en vente dans les boutiques sont en rupture de stock. Des fresques murales fleurissent dans les rues ou dans les bars. Vidéos et photos des tifosi du match de barrage contre Carpi et de la liesse populaire qui a suivi dans les rues de la ville s’échangent comme un trophée commun. Parole de Beneventano, « on n’avait jamais vu ça ». « Nous avons allumé 1 000 fumigènes ce jour-là, témoigne avec fierté Ennio Calabrese, responsable de la curva sud, la tribune la plus bouillante du stade Ciro Vigorito. On a tiré des feux d’artifice dans les rues et on a fait la fête toute la nuit. Mais aussi les jours suivants. »

La revanche de Benevento

Il a fallu quatre-vingt-sept ans à Benevento pour atteindre la deuxième division, mais seulement une petite année pour intégrer la Serie A. Quand les supporteurs parlent de « miracle », le club insiste sur le projet du président, Oreste Vigorito, arrivé au club en 2006. Oreste, pionnier de l’énergie éolienne dans la péninsule avec son entreprise, l’IVPC (Italian Vento Power Corporation), fondée en 1993, investit sa fortune personnelle dans le club. Avec l’un des entrepreneurs les plus riches de Campanie aux commandes, le club passe en division supérieure, mais se heurte encore aux portes de la Serie B : cinq échecs en sept ans en matchs de barrage.

Juste après la victoire contre Carpi en juin, il fallait voir ce Napolitain aux cheveux gris engoncé dans un tee-shirt aux couleurs du club courir sur le terrain comme un gamin. « La promotion était une promesse, nous l’avons dit, nous avons toujours essayé », déclarait-il au micro de la chaîne sportive Sky Sport. Les Beneventani ne manquent pas de superlatifs pour évoquer le président, si bien qu’il apparaît comme le personnage le plus important de la ville. « Si on faisait des élections demain, il serait évidemment élu haut la main, assure Angelo. Ici, la politique ne fonctionne pas, il y a toujours moins de travail et on n’a pas d’industrie ou de grosse usine qui embauche. » Ancien éboueur, Angelo a été licencié il y a un an de son entreprise et peine à retrouver un travail à 53 ans. « Le football, c’est notre principal intérêt. On espère que la promotion en Serie A va nous permettre de nous développer. »

Benevento possède bien un riche patrimoine avec notamment un imposant arc de triomphe du IIsiècle après J.-C., un théâtre romain et une église inscrite au Patrimoine mondiale de l’humanité de l’Unesco. Mais ces sites restent vides de touristes. Clemente Mastella, arrivé dans le fauteuil de maire il y a un an, n’a pas hésité à parler aux journaux italiens de « délivrance » et de « revanche » pour Benevento : « Les projecteurs s’allument maintenant sur le Sannio [la région de Benevento occupée par les Samnites au VIIe s. av. J.-C.] qui, par conséquent, pourra donc bénéficier d’une visibilité médiatique majeure. »

Les commerces de la ville aux couleurs du club. / IRIS CHARTREAU

Ancien coéquipier de Maradona

Avec une équipe en construction qui découvre la Serie A, le club n’aspire à rien de plus que se maintenir. Le journal en ligne Goal.com a calculé que l’ensemble des joueurs de Benevento gagnait moins qu’un seul joueur de la Juventus, Paolo Dybala.

« Aujourd’hui le classement de la Serie A est fait par le chiffre d’affaires. Les grands clubs qui ont des chiffres d’affaires dingues peuvent prendre des joueurs qui sont un niveau au-dessus », explique Marco Baroni, l’entraîneur des « Stregoni », les sorciers, le surnom des joueurs de Benevento. Vainqueur du championnat en 1990 sous les couleurs de Naples aux côtés d’un certain Diego Maradona, Baroni a fait ses classes avec les jeunes de la Juventus, l’école de la gagne. A son arrivée il y a un an, il a apporté dans ses valises sa rigueur et son ambition.

Les tifosi apprécient regarder les entraînements où il demande aux joueurs de refaire les actions jusqu’au mouvement parfait. « J’ai un désir, que mon équipe donne de l’émotion. Par le beau jeu si c’est possible ou par le combat. On peut perdre un match par un but, mais pas dans le combat », explique l’ancien défenseur qui a rapidement déclaré que l’équipe ferait des « choses importantes ». Le sort en est jeté. Benevento est bien en Serie A.