« Sonic Mania » est un épisode réalisé par un fan, pour les fans. / SEGA

C’est une boule bleue qui déboule, roule, rebondit, éclate les méchants robots de l’infâme Dr Eggman et progresse à une vitesse vertigineuse vers le niveau suivant. Cette boule, c’est le hérisson Sonic, mascotte de Sega depuis vingt-six ans : Sonic Mania, le nouveau volet de ses aventures, est disponible sur PC, Xbox One, PlayStation 4 et Switch depuis mardi 15 août.

Un épisode un peu particulier, mais quel épisode de cette série protéiforme ne l’est pas ? Le développement de celui-là n’est pas assuré par l’habituelle Sonic Team, mais par un fan américain, Christian Whitehead, déjà responsable des récentes versions mobiles des épisodes canoniques.

Le contrat est clair : il s’agit d’un épisode par un fan, pour les fans. Un jeu autant qu’un hommage aux années Mega Drive, celles du début des années 1990, quand la série de Sega pouvait encore passer pour un concurrent crédible au tout-puissant Super Mario.

Pas de doute, c’est du travail d’orfèvre : 12 environnements, deux niveaux à chaque fois, patchworks d’ennemis connus, de nouveaux boss, de défis renouvelés. D’ailleurs, si la moitié des mondes est inédite, l’autre est inspirée de certaines des aventures les plus emblématiques du hérisson, ici revisitées, détournées, réinventées.

Sonic Mania - Launch Trailer

Sonic Mania est une capsule temporelle, un trou dans le tissu de l’espace-temps. Un jeu de 2017, méticuleux et maniaque, qui a le charme des jeux de l’époque. De la prise en main aux graphismes, en passant par la musique, tout paraît authentique, d’époque. Impossible de prendre Christian Whitehead en flagrant délit d’anachronisme : il a tout compris. Dont des choses que la Sonic Team elle-même semble avoir depuis longtemps perdues de vue.

Le grand malentendu

C’est le grand malentendu qui frappe Sonic : conceptualisé dans son premier épisode comme une ode à la vitesse destinée à faire la preuve de la supériorité technique de la Mega Drive sur ses concurrentes, la mascotte de Sega est, depuis, restée enfermée dans ce cliché. Pourtant, dès le deuxième opus de ses aventures, Sonic devient en fait un jeu d’exploration – faux labyrinthe dont le joueur doit trouver la sortie avec le plus de panache possible. Partout, des embranchements, des voies alternatives, des occasions de faire du hors-piste.

Une exploration qui teste tout de même l’agilité du joueur : les passages les plus gratifiants – qui sont aussi souvent les meilleurs raccourcis – sont réservés aux as du joystick, à ceux qui seront capables de sauter au bon moment, de rebondir au bon endroit, de repérer des passages secrets, des anneaux cachés.

Sonic est un jeu de course aristocratique

Un bon niveau de Sonic, c’est un niveau dans lequel on va chercher à éprouver les limites de son architecture et l’inventivité de ses concepteurs, quitte à tomber, en cherchant un raccourci génial ou un bonus précieux, dans un bug mortel. Sonic est un jeu de course aristocratique, où les agiles empruntent souvent une voie des airs invisibles aux laborieux qui font le trajet à pied. Les phases de course en pilotage automatique (qui seront tout ce que les épisodes 3D ainsi que les épisodes 2D des années 2000 en retiendront), ego trips vaniteux mais ludiquement faibles, existent dans un bon Sonic, mais elles sont une récompense, un son et lumière gratifiant, pas le cœur de l’expérience.

Sonic 2 est le sommet de cette exploration par le talent. Les niveaux Oil Ocean ou Chemical Plant viennent immédiatement en tête. On ne s’étonnera pas d’en trouver de nouvelles versions dans Sonic Mania.

Le plaisir de jouer et de se souvenir

« Sonic Mania » célèbre le plaisir de jouer autant que celui de se souvenir. / SEGA

Tout ça, Christian Whitehead l’a compris. Ses niveaux sont architecturés comme une succession d’embranchements, de tests, comme ceux d’un jeu d’infiltration, comme une aventure à la Telltale, où les réflexes remplacent l’inventivité, où les questionnements moraux se soustraient à l’adresse.

Bien sûr, il ne faut pas faire passer Sonic Mania pour ce qu’il n’est pas. Même dans ses meilleures itérations (y compris dans celle-ci), Sonic n’a jamais eu la mécanique de précision d’un Super Mario, ni sa rigueur, son efficacité, sa géniale économie de moyens. C’est un jeu
régulièrement approximatif, souvent injuste. Un jeu où des bugs rôdent, où les niveaux sont noyés sous une profusion délirante de gimmicks aussitôt oubliés.

Mais ça lui va plutôt bien, à Sonic Mania. Jeu-musée autant que jeu vidéo, il célèbre le plaisir de jouer autant que celui de se souvenir, accumulant les clins d’œil, les références. Tel canon évoque ainsi l’obscurissime machine à pop-corn Sonic, tel élément du décor rappelle à notre bon souvenir les personnages oubliés de Sonic CD, tel boss de fin de niveau rappelle le spin-off Doctor Robotnik Mean Beans Machine. En cela, la générosité un peu foutraque est justifiée, et même bienvenue.

Le vieux est le nouveau jeune

Dans « Sonic Mania », le passé et le présent se rencontrent avec un naturel confondant. / SEGA

C’est l’autre grande intuition de Christian Whitehead : pour être moderne de nouveau, Sonic doit changer de nature en revenant, paradoxalement, aux origines de la plus littérale des façons.

Sonic en 1991, c’était l’incarnation du cool et de la vitesse, un appel du pied à la jeunesse en sweat-shirt Waikiki. Pendant les décennies qui ont suivi, il n’a cessé de courir, aussi vite qu’il a pu, derrière l’élixir de jouvence, persuadé que, pour rester pertinent, il devait rester jeune.

Sonic ne s’excuse pas de ressembler à la décennie d’où il vient.

La Sonic Team en avait elle-même eu l’intuition, sans oser la pousser à fond, lors de Sonic Generations, de loin son meilleur jeu de récente mémoire : Sonic appartient au passé. Et c’est très bien comme ça. Christian Whitehead lui, y va à fond. Pas d’ironie, pas de second degré, Sonic ne s’excuse pas d’être ce qu’il est, de ressembler à la décennie d’où il vient. Le Sonic de Sonic Mania n’est plus l’idole des jeunes, c’est le chouchou des vieux. Et c’est très malin. Christian Whitehead le sait : le rétro, voire le vintage, peut être cool. Etre jeune, ce n’est plus être rebelle – c’est écouter la même musique, s’habiller avec les mêmes fringues, jouer aux mêmes jeux que ses parents.

Cette patine pseudo-ringarde culmine d’ailleurs dans les nouvelles séquences bonus où l’on collecte les sept émeraudes donnant accès à la « vraie » fin du jeu. Des séquences rapidement crispantes manette en main, mais dont l’esthétique, qui mêle les mouettes en fausse 3D de Sonic 1, les polygones moches de Sonic R, et le principe de la course-poursuite sur fond de paysages surréalistes et de damiers empruntés à Sonic CD, résout à elle seule un paradoxe temporel.

De cet assemblage hétéroclite et halluciné émerge en effet la sensation d’avoir affaire à une sorte d’œuvre « vaporwave », mouvement esthétique et musical typique des bas-fonds de l’Internet, bizarre et ironique, fils des années YouTube et 4chan, aussi pointu que Sonic est
mainstream, aussi jeune et cool qu’on le disait vieux et dépassé. Là, le passé et le présent se rencontrent avec un naturel confondant, faisant la preuve de la pertinence retrouvée du hérisson bien mieux que n’importe quelle perche à selfie tirée du détestable épisode Sonic Boom.

Petit manque d’audace au photo finish

« Sonic Mania » aurait pu être une pochette surprise plus généreuse. / SEGA

Quelques regrets ? Bien sûr. Quitte à jouer la carte de la nostalgie, on aurait aimé que Sonic Mania soit une pochette-surprise plus généreuse, pleine d’options et de secrets improbables. Encore plus de bonus à débloquer, des raisons d’y revenir, d’en explorer le moindre recoin, de le finir à 100 %. Qu’il aille jusqu’au bout dans sa démarche, tentant des modes de jeux étranges, déconstruisant le hérisson et sa pléthore d’amis, jouant avec les mèmes, les fanarts, l’univers Sonic sous toutes ses formes, même les plus délirantes. Mais à défaut d’être le jeu le plus audacieux de 2017, Sonic Mania demeure, et c’est déjà pas mal, l’un des meilleurs de 1995.

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • Retrouver la philosophie des anciens Sonic dans des nouveaux niveaux
  • Le travail sur la maniabilité, les graphismes, la musique
  • Christian Whitehead réussit l’impossible : rendre Sonic pertinent de nouveau en assumant d’en faire une idole pour vieux

On n’a pas aimé :

  • Près d’un quart du contenu directement recyclé depuis les anciens épisodes
  • Quelques bugs, glitchs et imprécisions
  • Un peu trop sage sur les bonus

C’est pour vous si :

  • Vous dessinez des fanarts polissons avec Tails et Big the Cat
  • Vous avez l’intégrale en VHS de Sonic le Rebelle
  • Vous aussi, on vous a privé de Super Nintendo quand vous étiez gamin

Ce n’est pas pour vous si vous préférez :

  • Les moustachus
  • Les plombiers
  • Les champignons

La note de Pixels

1991/2017