Quelques jours après les attaques terroristes qui ont frappé Barcelone, le championnat d’Espagne de football reprend ses droits ce week-end. Si la fête annoncée est d’ores et déjà gâchée, à l’image des rencontres disputées sous le signe de l’émotion ces deux derniers jours, cette Liga version 2017-2018 s’annonce, cette année encore, captivante. Et pour cause, ce nouvel exercice semble être périlleux pour l’un des deux mastodontes de la Liga espagnole : le FC Barcelone, qui reçoit le Betis Séville, ce soir, à 20 h 15.

La rencontre face aux Andalous revêt une dimension particulière. A Barcelone, nul ne peut avoir la tête au football. « Nous devons faire face ensemble et devons nous concentrer sur notre travail. Nous savons que nous avons un match important à jouer. Tout cela fait penser que parfois, quand on a des problèmes, tout est relatif. Cela remet chaque chose à sa place, il y a des choses beaucoup plus importantes que les petits problèmes qu’on peut rencontrer sur son chemin », a déclaré Ernesto Valverde, l’entraîneur du Barça.

Ces « petits problèmes » évoqués par le technicien catalan renvoient au triste spectacle proposé par son équipe, lors de la Supercoupe d’Espagne perdue (3-1, 2-0) face au rival historique du Real Madrid. « Depuis que je suis au Barça, c’est la première fois que je sens qu’ils sont vraiment supérieurs. »

Cette phrase, prononcée par le capitaine Gerard Piqué quelques minutes après une nouvelle déconvenue sur la pelouse madrilène de Bernabeu, le 16 août, est suffisamment éloquente. Jamais, depuis l’essor de son prodige argentin Lionel Messi, le club aux 24 titres de champion d’Espagne n’a semblé aussi démuni, dépassé par le niveau de jeu affiché par les Merengue, champions d’Espagne en titre. Confronté aux blessures de plusieurs cadres (Suarez, Piqué), le Barça, dont l’ADN a toujours été axé sur un jeu collectif ultrafluide, est méconnaissable.

« Il n’y a plus cette idée de jeu. Les principes de jeu qu’ils avaient avant, le type de joueurs… Ça a changé. Et aujourd’hui, ils sont dans l’interrogation, alors que de l’autre côté, il y a des certitudes », assure au Monde Raynald Denoueix, ex-entraîneur de la Real Sociedad (2002-2004) et qui avait réussi l’exploit de finir à la seconde place en Liga, en 2003, derrière le Real Madrid.

En effet, la suprématie des Blaugrana, si manifeste sous l’ère Pep Guardiola (2008-2012), s’est effritée d’année en année. Progressivement, le club a laissé le champ libre au Real Madrid de Zinédine Zidane, qui a su faire le dos rond, avant de redorer son blason. La peur a changé de camp. Preuve en est le fait que c’est désormais le Barça qui s’adapte à son adversaire, et non l’inverse, comme l’admet Gerard Piqué : « Nous avons commencé à trois derrière [face au Real] avec deux joueurs sur les côtés en pensant qu’ils joueraient avec deux attaquants, mais ils ont finalement joué avec trois joueurs offensifs et c’était très compliqué pour nous, surtout en première mi-temps. »

Comme si la machine catalane s’était grippée, son mécanisme ne fonctionne plus comme avant. « Je pense que c’est inquiétant. Il n’y a pas de fil conducteur, alors que c’est l’essentiel. Il faut qu’on sente comment l’entraîneur veut jouer, où il veut amener l’équipe et comment ça doit fonctionner. Quand on reste fidèle à une idée de jeu, ça finit toujours par porter ses fruits. Pour l’instant à Barcelone, le projet de jeu, il n’apparaît pas, mais alors pas du tout », insiste Raynald Denoueix.

Un changement de stratégie préjudiciable

Il faut dire que la stratégie du club a considérablement évolué. Cet été, les arrivées du Brésilien Philippe Coutinho et du Français Ousmane Dembélé ont été évoquées. Des transferts onéreux (une centaine de millions d’euros) qui s’ajouteraient à ceux de Neymar – parti en août au Paris-Saint-Germain contre 222 millions d’euros – et Luis Suarez, arrivés respectivement en 2013 et 2014, pour plus de 80 millions d’euros chacun. Des investissements conséquents encore impensables par le passé, quand la formation était alors une priorité pour les décideurs du club.

Pour Ivan San Antonio, éditorialiste pour le quotidien sportif barcelonais Sport, la clé du succès réside justement dans le centre de formation du Barça, la Masia : « Le Barça sera avec sa formation ou ne sera pas (…). La seule manière pour le club de lutter contre les millions qui ont atterri dans le football européen c’est d’affirmer, de façon irrévocable, le retour aux origines : la formation. »

La Masia, c’est cette pépinière de jeunes talents, où ont été formés Messi, Pique, Iniesta, Xavi ou encore Busquets. Depuis 1979, ce centre de formation inculque aux jeunes l’identité du club, qui au fil des catégories d’âge n’ont plus qu’une idée en tête : intégrer un jour l’équipe professionnelle, et s’y imposer. Il n’y a pas si longtemps, il n’était pas rare de voir le onze catalan presque exclusivement composé de joueurs formés à la Masia.

Mais aujourd’hui, force est de constater que la donne a considérablement changé. « Pendant un moment, ils ont eu une génération avec des joueurs très forts en termes de talent, avec une idée qu’ils partageaient, puisqu’ils étaient déjà ensemble au centre de formation (…). Mais aujourd’hui, cette idée de se connaître, de savoir ce que va faire l’autre, elle n’est plus possible car beaucoup de joueurs sont arrivés, et surtout avec beaucoup moins de talent », développe Raynald Denoueix.

Difficile de donner tort à l’ex-entraîneur de la Real Sociedad sur ce point. D’autant que le Barça est contraint de laisser partir ses jeunes pépites, censées représenter l’avenir de l’institution.

Dernier en date à quitter la Catalogne : Jordi Mboula, 18 ans, enrôlé par l’AS Monaco contre 3 millions d’euros en juin dernier. Un joueur ayant fait toutes ses classes dans les équipes de jeunes du Barça sans avoir disputé la moindre minute de jeu avec le groupe professionnel. Le cas Mboula atteste de la zone de turbulences que traverse le club blaugrana, dont le président, Josep Maria Bartomeu, est plus que jamais dans le viseur des socios depuis le départ de Neymar au PSG.

« J’ai ressenti des choses qui m’étaient inconnues, mais je crois que c’est normal. C’est un scénario que je n’aurais probablement jamais imaginé il y a trois ans, a récemment confié à El Pais le capitaine barcelonais Iniesta, dont le contrat s’achève en 2018, et qui hésite à rempiler. Disons qu’il m’arrive de m’interroger sur mon futur alors que je ne le faisais pas avant. » Signe de la mauvaise passe que connaît le club catalan.