Documentaire sur France 3 à 0 h 05

Pierre Bergounioux. / © PROD.

Derrière la fenêtre d’une maison à la campagne, dans une lumière bleutée, un homme écrit. Une voix off feutrée : « Déjà six heures. Ce n’est pas sans appréhension que j’entame ce nouveau cahier. » C’est Pierre Bergounioux, auteur de plus de plus de soixante-dix livres, tous hantés par le ravage du temps. Ils constituent une résistance à l’oubli.

Dans cette œuvre prolifique, on peut citer le beau récit Catherine (Gallimard, 1984), ses essais sur les écrivains William Faulkner ou Claude Simon, ou encore les quatre volumes de son magistral journal de plus de 4 500 pages (Carnet de notes, Verdier, 2006-2016).

Le film que lui consacre Sylvie Blum se passe en Corrèze, où l’écrivain est né en 1949. Pierre Bergounioux se livre avec retenue : il évoque son enfance, la ­désolation de sa région natale et l’impérieuse nécessité qui fut la sienne de la quitter pour de­venir écrivain.

En l’écoutant parler, sans ja­mais pontifier, on retrouve le rythme et la prosodie de ses livres. Pour l’écrivain, la parole se doit d’être aussi douce et grave que la ­chose écrite. « J’ai le sentiment d’écrire pour les morts », confie-t-il.

Dissiper les mystères du monde

Comment un auteur travaille-t-il ? Quels sont les destinataires d’un texte ? De quelle histoire sommes-nous dépositaires ? En moins d’une heure, Pierre Bergounioux passe d’un sujet à un autre avec une constante intensité dans le regard, et le souci d’être le plus rigoureusement exact pour dissiper les mystères du monde. « Un livre vaut à proportion des ténèbres qu’il a chassées. » Dans ce film sobre et ­efficace, on apprend qu’il n’écrit pas plus de quatre à cinq heures par jour, commence toujours ­son travail à l’aube. Dans cette quiétude, il se sent « étranger à la communauté ».

En littérature, le roman ne l’intéresse plus : il le considère comme un divertissement bourgeois. C’est la réalité tangible qui est son terrain de prédilection. Pour lui, un écrivain contemporain ne peut plus faire l’impasse sur les sciences sociales, ou la psychanalyse. C’est ce qu’il appelle « la nécessité réflexive de la littérature ». Essais, récits, carnets de notes, c’est autour de trois formes qu’il construit une œuvre singulière, à multiples entrées. Mais la littérature n’est pas tout : si elle nous rapproche du monde, elle peut aussi nous couper de lui. Sagesse de l’écrivain qui pose le réel au-dessus de tout : « L’écriture mange la vie, c’est dangereux, on risque toujours de rompre un moment avec la communauté. »

Pierre Bergounioux, la passion d’écrire, de Sylvie Blum (Fr., 2017, 55 min).