Shannon Izar, Caroline Ladagnous et Montserrat Amédée, le 22 août, à Belfast. / Peter Morrison / AP

Les affiches du centre-ville font plutôt la réclame d’une compétition de football : l’Euro féminin, dans la catégorie des moins de 19 ans, a pris fin il y a deux jours à peine. A Belfast, mardi 22 août, s’est pourtant tenu un match de rugby. Du rugby, et pas n’importe lequel : un jeu fait de mouvements, de passes, de prises d’initiative. Les Françaises ont conservé la foi en ces principes, sur la pelouse du Kingspan Stadium, malgré leur élimination en demi-finales de la Coupe du monde féminine contre les tenantes du titre anglaises (20-3).

Bien sûr, il y a la déception. Celle de perdre une septième demi-finale en huit éditions du Mondial, celle d’un score qui a gonflé avec un second essai anglais au tout dernier instant. « On est toutes en pleurs, on n’arrive même pas à parler entre nous, à s’écouter », confie la troisième-ligne Julie Annery, après le match et les sanglots, pour décrire cette « ambiance de vestiaires ». Subsiste cependant un espoir, une fierté, chez elle, comme ses coéquipières : avoir « quand même fait plaisir à notre public » par le jeu proposé, glisse une autre troisième-ligne, Manon André.

Les deux Françaises, encore en tenue de match, ont été préposées à une conférence de presse informelle. Elles s’expriment dans un coin de la salle, assises sur un canapé. A l’autre bout, debout, les Anglaises répondent aux caméras des journalistes. Il faudra un peu plus de temps aux autres Bleues pour sortir, en survêtement, de ce Kingspan Stadium aux tribunes à moitié vide. L’enceinte des rugbymen de l’Ulster a 18 000 places, dont 12 000 assises.

Combien exactement de sièges occupés mardi soir ? « L’Irlande au mois d’août, ce n’est pas la destination phare des Français », avance Ida, qui a pris place en tribunes pour encourager sa joueuse de sœur, Safi N’Diaye. A 26 ans, la spectatrice avait prévu des bottes en cas d’intempéries. Et intempéries il y eut pendant une bonne partie de la première période, où les Françaises ont pourtant fait jeu égal (3-3) avec les Anglaises, avec la possession du ballon de surcroît.

« Un rugby total »

Faire circuler ce ballon, le maintenir en mouvement, en liberté : depuis le début de la compétition, et malgré la pluie qui aurait pourtant dû les inciter à balancer au pied plutôt qu’à garder le cuir en main, les Bleues auront maintenu ce credo.

La demi de mêlée Yanna Rivoalen précise :

« On a vraiment essayé de jouer un rugby total, le rugby qu’on aime, tout simplement. Pour moi, le salut du rugby passera par le jeu, et pas par du frontal. »

Un jeu fait de courses dans l’espace, d’esquives, de déplacements plutôt qu’une partie d’autos tamponeuses comme il s’en produit aujourd’hui trop souvent chez les hommes. Un jeu où les passes de main en main prime sur les grands coups de pied : « On a un jeu au pied moins long », reconnaît Caroline Boujard, non alignée ce soir.

Laudateurs, plusieurs nostalgiques renvoient le rugby féminin à ce qu’ils voyaient et appréciaient autrefois chez les garçons. Rivoalen goûte le compliment, mais tient à préciser : « Ça me fait rigoler quand on évoque le rugby des années 1980. Nous, on joue au rugby. Point. » La joueuse de Lille invoque aussi l’exemple des gaillards néo-zélandais, doubles champions du titre dans le tableau masculin, qui « atomisent tout le monde » grâce à un projet de jeu également porté sur l’offensive et l’esprit d’entreprise.

Yanna Rivoalen, le 22 août à Belfast. / PAUL FAITH / AFP

Pour résumer sa compétition, Yanna Rivoalen ajoute : « C’est passé pour les trois premiers matchs de poules. Ça nous a moins réussi là. » D’abord trois victoires à Dublin, donc : Japon (72-14), Australie (48-0) et Irlande (21-5), pays hôte évincé. Puis cette ballade nord-irlandaise qui a mal tourné contre l’Angleterre. « On est tombées sur meilleures que nous », concède Romane Ménager, à créditer de quatre essais durant la compétition, mais forfait pour ce match à cause d’une cuisse douloureuse.

Première nation au classement international, championne du monde en titre, lauréate du Tournoi des six nations au terme d’un Grand Chelem, l’équipe des « Red Roses » a fait valoir la hiérarchie sportive. Sa victoire devrait aussi inciter à une réflexion plus structurelle. Cette saison, la Fédération anglaise de rugby rémunérait ses joueuses avec des contrats professionnels (seulement jusqu’à la fin de cette Coupe du monde), là où les Bleues restent encore avec un statut d’amateur ou tout au plus de semi-pro.

« Rendez-vous manqué »

« Au bout d’un moment si on veut avoir des résultats, il va falloir passer par là », suppose Romane Ménager. Qui ajoute : « Notre jeu a plu à pas mal de monde, les gens s’attendaient à mieux ce soir. » Pour la deuxième fois seulement de leur histoire, les Bleues jouaient le soir devant les caméras de France 2 (et non celles de France 4), la chaîne principale de France Télévisions. Annick Hayraud, manageuse du XV de France : « On aura donné à plein de petites filles envie de pratiquer le rugby et rassuré les parents qui vont pouvoir se dire que le rugby se conjugue très bien au féminin. » En 2014, la Coupe du monde en France avait déjà permis un bond de 12 000 à 19 000 licenciées aujourd’hui.

22 h 30. La plupart des spectateurs ont déjà quitté le vieux portique du stade, en hommage aux combattants irlandais des deux guerres mondiales. Les joueuses et leurs proches restent. Elles pourront surtout regretter leurs maladresses en quantité jusque-là inédite durant le tournoi : passes en-avant, jeu au pied peu utilisé, ballons perdus en touche. Et cet essai logiquement refusé à Julie Annerie (68e minute), en dehors du terrain au moment d’aplatir le ballon, alors que l’Angleterre restait encore en ligne de mire (13-3).

Serge Simon, manteau sur le bras, est également de sortie. Le vice-président de la Fédération française de rugby parle d’« un rendez-vous manqué » en regard des attentes suscitées et de cette place en finale du Mondial qui se refuse toujours aux Françaises. En janvier, désormais sous la présidence de Bernard Laporte, la nouvelle équipe dirigeante avait pris une décision radicale avec en tête l’objectif d’un sacre mondial : changer le staff des Bleus à une demi-année du Mondial, Samuel Cherouk ayant remplacé Jean-Michel Gonzalez comme entraîneur principal.

Yanna Rivoalen parle avec franchise : « On a un groupe très fort, très soudé, mais on a eu du mal à s’en remettre au début, on ne pensait pas qu’à six mois de la Coupe du monde on pouvait changer un staff avec qui ça se passait très bien. » Et la joueuse de conclure sur ce qui importe le plus à ses yeux : la continuité dans la « philosophie de jeu » et ce désir, toujours intact, de « porter le plus possible le ballon ».

Les Françaises pourront encore en faire usage samedi 26 août : elles affronteront les Etats-Unis lors du match pour la troisième place, dans ce même Kingspan Stadium. Le même jour Anglaises et Néo-Zélandaises se disputeront ensuite le titre mondial, qu’elles se partagent sans contredit depuis 1994 : déjà deux trophées pour les unes, quatre pour les autres.