Des immigrés clandestins détenus près de Tripoli, après leur sauvetage en mer, le 6 août 2017. / MAHMUD TURKIA / AFP

L’éditorial du « Monde ». Cela pourrait ressembler à une bonne nouvelle : pour la première fois depuis trois ans, c’est-à-dire depuis le début de la crise migratoire vers l’Europe, le nombre d’arrivées illégales enregistrées en Italie en juillet a fortement décru. Ce chiffre accuse même une baisse de 57 % par rapport à juin, pour revenir au niveau du premier été de l’exode à travers la Méditerranée, en 2014.

Des combats ont perturbé le trafic dans la région de Sabratha, une zone côtière très utilisée par les passeurs.

Ajoutée à l’arrêt presque net du flux migratoire de la Turquie vers la Grèce depuis 2016, grâce à l’accord conclu par l’Union européenne avec Ankara, cette évolution permet peut-être d’envisager une inversion de la courbe des arrivées sur l’ensemble des quatre routes vers l’Europe empruntées par les migrants et leurs passeurs : Turquie-Grèce, Libye-Italie, Maghreb-Espagne et Balkans.

Mais est-ce vraiment bon signe ? S’il s’agit d’une tendance lourde susceptible d’éviter de nouveaux drames dans la Méditerranée, qui a déjà englouti plus de 2 100 personnes cette année, c’en est incontestablement un. Toutefois, derrière les chiffres – qui ne reflètent, pour l’instant, qu’une tendance provisoire – se cachent d’autres évolutions, plus profondes et souvent inquiétantes.

Une présence accrue de garde-côtes

La série de reportages de notre envoyé spécial Frédéric Bobin sur l’enfer migratoire libyen, dont nous commençons la publication aujourd’hui, en fournit quelques cruelles illustrations. Si le flux des départs des côtes libyennes s’est tari en juillet, c’est en partie parce que des combats dans la région de Sabratha, une zone côtière très utilisée par les passeurs, ont perturbé le trafic. Une autre raison avancée par Frontex, l’agence européenne des gardes-frontières, est la présence accrue des gardes-côtes libyens, qui serait dissuasive pour les trafiquants.

Or, comme la Turquie, la Libye n’est qu’un pays de transit. Le ralentissement des arrivées en Europe signifie simplement, pour l’heure, non pas que les candidats à l’émigration clandestine ont renoncé à quitter leur pays, mais qu’ils sont, plus vraisemblablement, bloqués en Libye dans des conditions généralement inhumaines.

Une nouvelle économie migratoire a émergé sur la route Libye-Italie, profitant du chaos post-Kadhafi.

Alors que la route Turquie-Grèce était en priorité utilisée par les gens fuyant les guerres de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan, une nouvelle économie migratoire a émergé en Méditerranée centrale, sur la route Libye-Italie, profitant du chaos post-Kadhafi.

Le flux migratoire d’Afrique de l’Est a été largement supplanté par un flux venant d’Afrique centrale et occidentale : un migrant sur six est désormais nigérian. En outre, le modèle économique de la migration illégale s’est totalement transformé, fragmenté en une multitude de circuits de passeurs qui non seulement décuplent les agressions et l’exploitation des migrants, mais compliquent considérablement les efforts menés pour les combattre.

Contrôler la mise en œuvre de l’aide

L’action sur les pays de départ est une œuvre de longue haleine. L’UE cherche donc logiquement, dans l’immédiat, à concentrer ses efforts sur la Libye, en tentant de reproduire le modèle de l’accord avec la Turquie.

Mais peut-on sous-traiter la gestion de flux migratoires à un pays où l’Etat est complètement défaillant, où les migrants sont livrés à l’esclavage et aux violences sexuelles à grande échelle, où les milices sont parfois complices des trafiquants ? C’est là tout le dilemme des Européens. Travailler avec la Libye, oui. Mais les yeux grands ouverts, en exigeant d’exercer sur place un contrôle de la mise en œuvre de l’aide accordée. Pour ne pas, à notre tour, être complices.