Corbynman en casquette de marin qui balance des pots de confiture en criant « Jam on ! » sur les drones du Daily Mail, ou Corbyn le Barbare fracassant la tête d’un robot Theresa May… ces deux fictions feront partie de l’album The Corbyn Comic Book, un projet collaboratif de la maison d’édition britannique SelfMadeHero.

En plus des BD signées par Steve Bell et Martin Rowson, illustrateurs au Guardian, et des artistes Karrie Fransman et Steven Appleby, les éditeurs, qui ont lancé un appel à participation sur leur site en juillet, ont dû choisir parmi plus de 100 propositions mettant en scène le leader du Labour en héros de comics.

Emma Hayley, directrice de la publication chez SelfMadeHero, a expliqué l’idée de ce projet au Guardian par le fait que le candidat du Labour, vainqueur des élections législatives du 8 juin, « a capturé l’imagination des gens ». Ses positions politiques – un retour de l’Etat pour lutter contre les inégalités, anti-establishment et sceptique sur l’Europe – et sa campagne particulièrement réussie ont contribué à sa popularité. Mais elle vient aussi, selon Emma Hayley, de ses « nombreuses lubies » comme « les jardins associatifs, la confiture, son chat » qui en ont fait le héros parfait « pour ce genre d’histoires légères ».

Des lubies anodines qui servent de références

Depuis son élection à la tête du Parti travailliste le 8 mai 2015, la popularité grandissante de Jeremy Corbyn fait mentir les pessimistes des premières heures et pousse les médias britanniques à s’interroger sur ce qu’ils se sont résolus à appeler « Corbynmania ». Sur les réseaux sociaux, un territoire où les hommes politiques se doivent d’être présents, mais où la popularité est éphémère et les opinions sont fluctuantes, Jeremy Corbyn est un des rares à s’être imposé sans grosses ficelles, devenant presque naturellement un phénomène culturel.

Ses passe-temps anodins, qui pourraient être ceux de M. et Mme Tout le Monde, et l’humour et le recul dont il fait preuve, n’y sont sûrement pas pour rien. Il y a son jardin partagé (une parcelle de terrain cultivable mise en commun avec ses voisins), sa passion pour la préparation de confitures, le rendant parfois indisponible, son chat El Gato, qu’il soupçonne d’être un Tory, ou sa proximité avec les artistes de la scène grime.

Ce sont autant de références qui alimentent sa présence en ligne et le rendent populaire auprès des électeurs les plus jeunes, qui sont aussi les plus actifs sur les réseaux. Le « Corbyn-numérique » est bien sûr entretenu par ses équipes de campagne, qui connaissent bien le fonctionnement des réseaux, mais aussi par les utilisateurs eux-mêmes, contributeurs anonymes qui diffusent les mèmes de Corbyn, ou ses avatars de héros de la pop culture, et par la même occasion son image d’homme politique à la fois ordinaire et cool.

« Jezza », comme il est affectueusement surnommé, n’hésite pas à parler de ses confitures dans des émissions de télévision ou à poser avec des T-shirts qui le représentent en train de « daber ». The Corbyn Comic Book fait partie de cette stratégie. Il sera officiellement présenté lors du congrès du Labour en septembre.

L’alliance de bande dessinée Poutou-Corbyn

En France aussi, les hommes politiques cherchant à se faire élire pensent qu’il faut en passer par un « dab ». Et comme au Royaume-Uni, il n’est pas peu courant que la popularité virtuelle d’une personnalité politique soit décorrélée de ses scores dans les urnes. Une simple photo de kebab postée par un candidat socialiste malheureux peut avoir plus de résonance, et donc plus de retombées médiatiques, que le portrait officiel du président élu diffusé au même moment.

Le cas de Philippe Poutou, candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ayant recueilli 1,1 % des voix à la présidentielle, est plus intéressant, car c’est celui qui se rapproche le plus, toutes proportions électorales gardées, de Jeremy Corbyn.

Méprisé par une certaine partie des journalistes couvrant la campagne, Philippe Poutou s’est taillé une jolie réputation numérique après sa diatribe sans filtre pendant le grand débat du premier tour et une attitude particulièrement décontractée. Comme toujours, la leçon est que pour devenir un héros des réseaux, le meilleur moyen est de ne même pas essayer.

Rémi, un Lyonnais de 23 ans qui a croqué la campagne présidentielle sur la page Facebook BD à la con, a naturellement choisi le candidat du NPA pour tenir le rôle de « Gauche-Man », héros radical de ses dessins satiriques.

Il se souvient n’avoir pas vraiment réfléchi la première fois qu’il a fait parler son Poutou masqué :

« Ça m’est venu en imaginant l’univers futuriste de la start-up nation, forcément le dernier qui allait rester, c’était Poutou. Au début, je n’avais pas prévu d’en faire un personnage récurrent, mais les gens ont continué à me demander Gauche-Man. »

S’il dit ne pas avoir voté pour Philippe Poutou, représenter quelqu’un d’autre comme sauveur de la gauche, tel que Jean-Luc Mélenchon, n’aurait pas été possible. « Les insoumis sont très actifs sur les réseaux, du coup je serais direct passé pour un partisan et ce n’était pas le but. »