De gauche à droite : le chancelier autrichien Christian Kern, le président français Emmanuel Macron, le premier ministre tchèque Bohuslav Sobotka et le premier ministre slovaque Robert Fico, à Salzbourg, le 23 août. / BERTRAND GUAY / AFP

Le cadre bucolique et apaisée de la ville natale Mozart a permis à Emmanuel Macron d’obtenir un premier geste fort de deux pays d’Europe centrale sur le sujet sensible du travail détaché. Lors d’une rencontre à Salzbourg organisée mercredi 23 août par le chancelier autrichien, les premiers ministres tchèque et slovaque ont donné leur accord de principe pour réviser cette directive qui permet d’envoyer des salariés dans un autre pays de l’Union européenne (UE) en continuant de payer les cotisations sociales dans le pays d’origine. Un texte qui est souvent accusé en France de créer du « dumping social ».

La République tchèque et la Slovaquie, historiquement opposées à toute révision de ce texte, se sont engagées à « débattre pour trouver un accord d’ici octobre », selon les propos du premier ministre social-démocrate tchèque, Bohuslav Sobotka. « Nous sommes proches d’un accord », a même affirmé son homologue slovaque, Robert Fico. Si les deux responsables ne sont pas rentrés dans le détail de ce que pourrait être cet éventuel accord, M. Macron a salué un « vrai consensus sur la révision ». Le président a évoqué la « lutte contre les situations abusives » ou « la réduction de la durée » maximale de détachement, sans toutefois dire s’il était parvenu à les convaincre d’accepter qu’elle soit de douze mois seulement, une des principales exigences françaises. « La directive telle qu’elle fonctionne est une trahison de l’esprit européen dans ses fondamentaux » avait tonné le président français avant la rencontre. « Le marché unique européen et la libre circulation des travailleurs n’ont pas pour but de favoriser les pays qui font la promotion du moindre droit social », avait-il précisé dans une allusion évidente aux pratiques de certains pays d’ex-Europe de l’Est.

L’Autriche alignée sur les positions françaises

Aucun texte n’a été signé et il faudra attendre la prochaine réunion des ministres du travail européens le 23 octobre pour savoir si la France a gagné son combat sur ce dossier. Mais cette « bonne volonté » de Prague et Bratislava, comme l’a qualifié le président français, lui permet au moins de diviser l’unité du « groupe de Visegrad », qui regroupe également la Pologne et la Hongrie, très opposées à tout durcissement de la directive. « Nous allons tout faire pour que l’ensemble du groupe de Visegrad rejoigne nos positions », a promis M. Fico, mais sans en faire une condition sine qua non. Pour sa première tournée en Europe centrale, M. Macron a d’ailleurs évité de se rendre à Budapest et Varsovie, les deux capitales les plus souverainistes de la région. « On a cassé l’idée qu’il y aurait une opposition entre l’Est et l’Ouest », a célébré le président, qui devait ensuite se rendre jeudi 24 et vendredi 25 août en Roumanie et en Bulgarie.

Cette avancée est aussi à mettre au crédit de l’Autriche, alignée sur les positions françaises. Le chancelier social-démocrate autrichien Christian Kern a expliqué que son pays « a peur du dumping social » alors que le nombre de travailleurs détachés « a augmenté d’un quart » dans le pays en 2016. « Un niveau préoccupant » selon M. Kern qui est actuellement en campagne pour des législatives face à une extrême droite europhobe, alliée au Front national au Parlement européen, et toujours très élevée dans les sondages. En permettant parfois de faire travailler deux personnes sur le même poste avec deux salaires différents, le travail détaché est une cible facile pour les eurosceptiques d’Europe de l’Ouest. M. Macron en a d’ailleurs fait un point essentiel de son projet de promotion d’une « Europe qui protège », surtout au moment où il veut en parallèle flexibiliser le marché du travail français.

Situation de quasi plein emploi dans la région

Ce changement de position de l’Europe centrale s’explique par la situation de quasi-plein emploi que connaissent désormais la plupart des pays de la région. Après des années d’hémorragie démographique, ceux-ci aimeraient désormais retenir davantage leur main-d’œuvre. « En Slovaquie, nous avons aussi des problèmes de dumping social, nous voudrions l’interdire », a expliqué le premier ministre slovaque Robert Fico, un populiste de gauche. En retour de ce geste conciliant, M. Fico a visiblement voulu rappeler son opposition ferme à tous quotas européens de migrants, un autre sujet qui divise Est et Ouest ces dernières années. « Il est impossible de baser la politique d’asile sur des quotas », a répété plusieurs fois l’homme fort de Bratislava, qui a même porté plainte devant la justice européenne contre ce principe.

M. Macron semble avoir entendu cette opposition. « Il ne m’appartient pas à mois de dire combien de migrants il faut envoyer en Slovaquie ou ailleurs, mon souhait n’est pas d’aborder les choses selon ce principe-là », a expliqué le président français, critiquant ainsi ouvertement le projet européen de répartition des demandeurs d’asile. Lancé par la Commission européenne en 2015, celui-ci n’a jamais vraiment marché en raison de l’opposition farouche de plusieurs pays d’Europe centrale. Mais l’Elysée démentait pour autant mercredi soir avoir marchandé sur ce sujet avec Prague et Bratislava en échange de leur geste sur le travail détaché.