Film sur Ciné+ Club à 20 h 45

LES HABITANTS de Raymond Depardon (Documentaire - 2016)
Durée : 01:35

Raymond Depardon a été correspondant de guerre il y a un demi-siècle. Quand il est à nouveau parti sur les routes de France avec Claudine Nougaret, productrice, ingénieure du son et compagne, s’attendait-il à renouer avec cette ancienne vocation ? De ville en ville, sur les grand-places de Dunkerque, Nice, Bayonne ou Villeneuve-Saint-Georges, il a garé une caravane. Dans l’habitacle, le cinéaste et photographe a installé un petit studio et a fait entrer, deux par deux, des passants qu’il avait vus deviser dans la rue, leur demandant de poursuivre leur conversation.

Il n’y a pas plus violent que le contraste entre ce cadre douillet, un peu désuet, et les paroles qu’on y entend. On ne les entend pratiquement jamais au cinéma ; fiction ou documentaire, il faut qu’il se passe des choses. Dans sa caravane, Depardon a saisi ce qu’il y a entre – l’attente, la déception, les regrets… On est en 2015, entre Charlie et le Bataclan, et peut-être certains des invités en ont-ils parlé – ils ont été dix fois plus nombreux que ceux que l’on voit à l’écran. Dans le film, il est question avant tout de la guerre des sexes.

« Les Habitants », de Raymond Depardon. / PALMERAIE ET DÉSERT

C’est une jeune femme qui le dit à sa copine : « C’est dur ? C’est pas dur. C’est la guerre ! » Elle ne parle pas de la conquête d’un homme, ni même d’une crise de son jeune mariage. Non, il est question de la vie quotidienne avec un homme « qu’en fait, on ne connaît pas ». Un type qui drague sur Facebook devant son épouse et qui ne lève pas le petit doigt dans la maison.

On pourrait énumérer ces fragments de vie qui témoignent de l’inégalité constante entre les sexes, à travers les pensions alimentaires sur lesquelles on mégote, les hauts faits érotiques dont on se vante. Des premières ce sont les femmes qui parlent, les seconds sont énumérés par des hommes de tous âges.

C’est le miracle de ce film que Raymond Depardon ait réussi à faire oublier les convenances à ses interlocuteurs, à prélever leur parole comme s’ils avaient parlé sans témoin. Ce prodige est vieux de quarante ans, lorsque le cinéaste, alors débutant, s’était fait oublier de Valéry Giscard d’Estaing, qui envisageait l’avenir avec Michel Poniatowski. Ici, on n’est plus dans l’intimité des puissants, mais face à un miroir à plusieurs faces, qui nous renvoie des images que nous ne voulons pas voir.

Les Habitants, de Raymond Depardon (Fr., 2016, 84 min).