La ville d’Amatrice se recueillait, jeudi 24 août, après le séisme qui avait fait près de 300 morts dans le centre de l’Italie en 2016. Mardi, un tremblement de terre de moindre importance a frappé l’île d’Ischia, dans la baie de Naples et a tué deux femmes. Un bilan bien moins élevé et pourtant trop lourd, selon les géologues, étant donné la faible intensité du deuxième tremblement de terre. Ce verdict ravive la polémique sur les constructions abusives ou de mauvaise qualité qui pullulent en Italie, mettant en péril des millions de personnes vivant dans les zones à risque sismique.

En 2016, le bilan du séisme d’Amatrice avait déjà soulevé les interrogations. Les secousses n’y avaient « pas été très fortes », estimait Patrick Coulombel, président et directeur de l’ONG Architectes de l’urgence, dans une interview au Monde. « Même si un séisme commence à susciter des destructions à partir d’une magnitude de 6. Celui-ci, de 6,2, s’est produit de façon très localisée et a duré quelques secondes », avait-il souligné.

Ces questions sont d’autant plus prégnantes sur le séisme d’Ischia, de magnitude 4. Un degré de secousse qui n’engendre habituellement que des dégâts mineurs. Mais sur l’île, il a fait s’écrouler des maisons construites avec « des matériaux de piètre qualité », a aussitôt dénoncé le patron de la protection civile, Angelo Borrelli.

Jusqu’à 60 % de bâtiments issus de chantiers illégaux

Sur cette petite île de 64 000 habitants, près de 30 000 demandes d’amnistie pour des infractions aux règles de la construction ont été déposées ces trente dernières années. Et les tentatives des autorités pour démolir les bâtiments illégaux se sont régulièrement soldées par des affrontements entre forces de l’ordre et population locale.

« On ne peut pas savoir si les écroulements d’Ischia sont la conséquence de constructions abusives et amnistiées, mais ce que nous savons, c’est que le territoire italien a été violenté par de nombreuses constructions de ce type », a déclaré mardi le ministre des infrastructures, Graziano Delrio.

Une maison effondrée après le séisme sur l’île d’Ishia, mardi 22 août. / Cesare Abbate / AP

En Italie, 21 des 60 millions d’habitants vivent dans des zones à fort risque sismique, selon le Conseil national des ingénieurs. Pourtant, le phénomène des chantiers illégaux y a atteint « une dimension sans égal par rapport aux autres économies avancées » avec 20 bâtiments sur 100 construits, selon un rapport de l’Institut italien de la statistique (Istat) publié en 2016. Un chiffre qui peut grimper jusqu’à 60 % dans certaines régions méridionales.

Plus surprenant, certaines constructions censées avoir été restaurées dans le respect des normes antisismiques en vigueur, se sont écroulées comme des châteaux de cartes lors des séismes de l’an passé. A Amatrice, les Italiens avaient été particulièrement choqués par le cas d’une école, rénovée en 2012 pour s’adapter aux normes antisismiques et réduite à l’état de décombres. Une enquête avait été ouverte pour évaluer d’éventuelles malfaçons à Amatrice et dans les villages concernés.

Le Sud particulièrement touché

Au classement des régions les moins vertueuses en la matière, Calabre, Sicile et Basilicate, dans le sud de la péninsule, forment le trio de tête. En Sicile, Angelo Cambiano, maire de Licata, est un symbole de la lutte contre ces constructions abusives. Il a pourtant été poussé à la démission au début d’août à la suite d’une motion de défiance votée par son conseil municipal. Victime de menaces et d’intimidations, il vivait sous escorte depuis des mois.

Quant à la Campanie, qui inclut Naples et l’île d’Ischia, elle est qualifiée de « roulette russe de l’Italie » par les experts. En cause, la combinaison de constructions illégales et d’une forte densité de population… y compris sur les pentes du Vésuve, un volcan actif.

Ces régions sont, en effet, d’autant plus exposées qu’elles abritent des zones éruptives actives. Outre le Vésuve, le géologue Mario Rozzi attire l’attention sur les Champs phlégréens, une zone éruptive située à quinze kilomètres plus loin, que le scientifique décrit comme « un supervolcan composé d’une trentaine de cratères recouverts par des hippodromes et des hôpitaux et dont l’éruption entraînerait l’exode définitif d’un demi-million de personnes ».

Sans compter que la terre n’a même pas besoin de trembler pour que tout s’écroule. En juillet, l’effondrement d’un immeuble à Torre Annunziata, au pied du Vésuve, a tué huit habitants dans leur sommeil… dont l’architecte chargé de contrôler la sécurité des bâtiments de la commune.

« Depuis plus de vingt ans, la communauté scientifique a exposé le problème aux responsables, prônant la mise en place de mesures préventives », explique Stefano Carlino, chercheur à l’Institut national de géographie de Naples. « Elles coûtent cher, bien sûr, mais elles sont nécessaires. Malheureusement, cette question n’a pas reçu l’écho qu’elle aurait dû », regrette-t-il. Matteo Renzi, alors premier ministre, avait pourtant promis en 2016 que des efforts seraient faits pour mieux protéger les bâtiments et infrastructures des catastrophes naturelles.

Le problème est connu. De nombreux édifices jugés à risque, souvent en raison souvent de matériaux de construction défectueux, font l’objet d’ordonnances de démolition. Ils ne sont que 10 % à être effectivement rasés.