Rassemblement de soutien à Ali Abdallah Saleh, à Sanaa, le 24 août. / Hani Mohammed / AP

Des centaines de milliers de Yéménites se sont rassemblés sur la place Sabyine, à Sanaa, jeudi 24 août, en soutien à l’ex-président Ali Abdallah Saleh, qui voulait faire une démonstration de force dans la capitale. Le rassemblement s’est déroulé sans heurts, après des jours de tension croissante entre M. Saleh et ses alliés, les rebelles houthistes.

M. Saleh, chassé de la présidence en 2012 dans la foulée du « printemps arabe », après trente-quatre ans au pouvoir, n’a jamais durablement quitté Sanaa. Aujourd’hui, à 75 ans, il s’y maintient grâce à une alliance d’intérêt avec Abdel Malik Al-Houthi, 38 ans, leader d’une rébellion issue du nord du pays, apparentée au chiisme et soutenue par l’Iran. Ensemble, ils résistent avec succès depuis mars 2015 à une coalition arabe sunnite dirigée par l’Arabie saoudite, qui soutient le gouvernement internationalement reconnu, basé dans le sud du pays, à Aden. Mais l’alliance entre M. Saleh et les rebelles s’érode.

Depuis plusieurs jours, M. Saleh et Abdel Malik Al-Houthi échangeaient des accusations. Mercredi, le leader houthiste affirmait, dans un discours télévisé, que M. Saleh, ce « traître », « subirait des conséquences » pour avoir qualifié ses troupes de « milices », dans une allocution sur une autre chaîne télévisée. Les houthistes établissaient dans le même temps des points de contrôle aux entrées de Sanaa. Les deux camps n’ont pourtant pas souhaité aller jusqu’à l’affrontement.

« Partenaires d’opérette »

M. Saleh apparaît rarement en public. Jeudi, pour le 35e anniversaire de la création de son parti, le Congrès populaire général, il a prononcé un bref discours devant une vitre pare-balles, entouré de gardes cagoulés et lourdement armés, sans mentionner les houthistes. Il s’est dit prêt à « renforcer les fronts de guerre avec des dizaines de milliers de combattants, à condition que le gouvernement les arme et les paye ».

Les alliés de M. Saleh accusent les houthistes d’accaparer le pouvoir – notamment d’avoir pris le contrôle du « ministère » de la défense rebelle. Ils critiquent leur incapacité à payer les salaires des fonctionnaires et les soldes des militaires, leur prise de contrôle des médias d’Etat et leurs tentatives de remodeler les programmes scolaires, en imposant leur idéologie religieuse militante. « Nous refusons d’être des partenaires d’opérette », a affirmé en tribune le numéro deux du parti, Aref Al-Zouka.

« Si les deux parties se séparent, aucune ne sortira debout de cette guerre. Ils se haïssent, mais ils ont besoin l’un de l’autre, ne serait-ce que parce que le monde extérieur traite avec eux de pair, et parce qu’ils sont bombardés ensemble par la coalition saoudienne », estime Adam Baron, chercheur associé au Conseil européen des relations internationales. Des raids aériens de la coalition ont tué 42 civils, dont plusieurs enfants, au cours des sept derniers jours, a annoncé vendredi le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme.

Durant sa présidence, dans les années 2000, M. Saleh avait mené six guerres aux houthistes. En s’alliant avec eux, M. Saleh a pu chasser le gouvernement de Sanaa, en septembre 2014, mais cette entente demeure de circonstance. Elle s’est visiblement fissurée depuis que la coalition saoudienne a relancé, fin 2016, ses opérations militaires sur la côte de la mer Rouge, et intensifié son blocus du port rebelle d’Hodeïda, principal poumon économique du Nord tenu par les rebelles. Les houthistes accusent M. Saleh, dont une partie de la famille est établie aux Emirats arabes unis, deuxième force de la coalition, de négocier dans leur dos avec leurs ennemis.

Au fur et à mesure du conflit, les houthistes ont gagné en capacité de combat conventionnel, hors des montagnes dont ils sont originaires. Ils ont aussi pour eux le nombre. Les militaires restés fidèles à M. Saleh ont, quant à eux, fourni la plus grande partie des armes du camp des rebelles. Ils sont, par ailleurs, les seuls capables d’effectuer des tirs réguliers de missiles en territoire saoudien. Les réseaux de M. Saleh lui ont enfin permis d’assurer la neutralité de tribus établies dans les environs de la capitale.