Au cours d’une manifestation organisée par les séparatistes à Srinagar, au Cachemire, le 17 avril 2017. | Danish Ismail / REUTERS

L’éditorial du « Monde ». L’Inde a célébré ses 70 ans cette année, le 15 août, précisément. Accessoirement, le Pakistan aussi – la veille. Ce qui aurait dû être un motif de réjouissances, l’anniversaire de l’indépendance d’un sous-continent si densément peuplé, la célébration de son dynamisme et de son émergence comme puissance économique et politique, n’a pu être fêté comme il l’aurait mérité, malgré les cérémonies officielles.

Une frontière artificielle

L’agitation qui règne au Cachemire, région déchirée entre les deux pays, en témoigne, parmi d’autres exemples : soixante-dix ans plus tard, l’ombre portée de la partition plane encore sur l’évolution de l’Inde.

Au Pakistan, l’influence du fondamentalisme islamiste s’accroît, et l’Inde s’éloigne des valeurs libérales occidentales.

La tragédie humaine provoquée par la partition, décidée en catastrophe en 1947 par le vice-roi Lord Mountbatten tandis qu’un juriste britannique qui ignorait tout de l’Inde, Sir Cyril Radcliffe, dessinait à la hâte une frontière artificielle, a marqué la naissance de ces deux pays dans la douleur.

La question de savoir si la partition, visant à protéger la minorité musulmane qui constituait alors 30 % de la population, aurait pu être évitée, est aujourd’hui vaine. Gandhi lui-même y était opposé ; il fut assassiné par des fanatiques hindous. Il restait au sous-continent indépendant à gérer cet héritage : plus d’un million de morts, une quinzaine de millions de personnes déplacées, viols, émeutes et massacres à grande échelle.

Surmonter de tels drames exige un sens de la responsabilité politique et religieuse exceptionnel. Ces dernières années, malheureusement, l’évolution des mentalités et des partis politiques, dans les deux pays, va à l’opposé de l’idéal de sécularisme de leurs pères fondateurs.

Agressions et lynchages

Au Pakistan, le fondamentalisme islamiste, reflet d’une dynamique mondiale, accroît son influence. Quant à l’Inde, elle s’éloigne de plus en plus des valeurs libérales occidentales auxquelles étaient attachées ses élites politiques pour se transformer en puissance nationaliste hindoue, sous l’impulsion de son premier ministre Narendra Modi, du parti qui l’a porté au pouvoir, le BJP (Bharatiya Janata Party) et de l’influent mouvement qui en forme la matrice idéologique, le RSS (Corps des volontaires nationaux).

Signe de la montée des tensions : un prêtre extrémiste hindou dirige l’Uttar Pradesh, l’Etat le plus peuplé de l’Inde.

Cette évolution est en train de changer le visage de l’Inde. La manifestation la plus inquiétante en est certainement la montée de l’intolérance religieuse, qui se traduit par la multiplication des agressions et des lynchages de musulmans accusés de manger du bœuf par des hindous pour lesquels la vache est sacrée. Près de trente personnes ont ainsi été assassinées depuis 2010.

Au-delà de la terreur semée par ces milices ultranationalistes, une atmosphère d’intimidation s’installe. Le peu d’empressement manifesté par M. Modi pour condamner ces agressions, voire son silence, a été très critiqué par de nombreux intellectuels qui, eux-mêmes, se sentent de moins en moins à l’aise dans leur pays.

L’atmosphère politique dans son ensemble leur paraît hostile : l’opposition est en miettes et les contre-pouvoirs institutionnels affaiblis. Un prêtre extrémiste hindou, Yogi Adityanath, a été nommé cette année premier ministre de l’Etat le plus peuplé de l’Inde, l’Uttar Pradesh, à la suite de la victoire écrasante des nationalistes du BJP aux élections régionales.

M. Modi ambitionne de donner à l’Inde le rôle qui lui revient sur la scène internationale par une diplomatie active. Les nombreux dirigeants européens qu’il rencontre devraient se faire fort de lui rappeler les valeurs auxquelles il est en train de tourner le dos.