Espérant sans doute faire taire les critiques sur sa « passivité » face à Ankara, la chef de la diplomatie suédoise, la sociale-démocrate Margot Wallström a annoncé, jeudi 24 août, sur son compte Facebook, qu’elle avait convoqué, plus tôt dans la journée, l’ambassadeur turc à Stockholm. Et ce afin de lui faire part de son « inquiétude » et de ses « exigences » concernant les deux citoyens turco-suédois actuellement en détention, par la volonté du président Erdogan.

L’activiste Ali Gharavi, consultant en technologie de l’information, est en prison depuis le 5 juillet, en Turquie, où il a été interpellé alors qu’il participait à un séminaire sur la liberté de l’Internet près d’Istanbul. Le journaliste et écrivain Hamza Yalcin, a, lui, été arrêté le 3 août en Espagne, sur la base d’un mandat d’arrêt international émis par Interpol à la demande d’Ankara, lors du contrôle de passeports à l’aéroport barcelonais d’El Prat.

Détention « kafkaïenne »

Agé de 59 ans, ce père de deux enfants, exilé en Suède depuis 1984, est accusé par la Turquie, d’appartenir au groupe d’extrême-gauche turc DHKP-C (Parti-Front de libération populaire) et d’écrire pour le magazine en ligne Odak, dont il est un des rédacteurs en chef, très critique à l’égard du régime d’Erdogan.

Ignorant l’existence du mandat d’arrêt qui le visait jusqu’à son arrestation, il raconte dans un texte, publié dans le journal suédois Expressen le 21 août, ses conditions de détention « kafkaïennes » : le choc de l’arrestation, les interrogatoires, sa crainte de demander un interprète turc qui le trahirait. Il accuse aussi « le dictateur turc Recep Tayyip Erdogan » d’avoir utilisé « à des fins personnelles » Interpol pour obtenir son arrestation.

Il n’est pas le seul concerné. L’écrivain allemand d’origine turque Dogan Akhanli, lui aussi critique du régime d’Ankara, a été interpellé à son tour le 19 août, à Grenade, également sur la base d’un mandat d’arrêt international émis par Interpol à la demande de la Turquie. Mais contrairement à Hamza Yalcin, il a été remis en liberté conditionnelle dès le lendemain.

Cette différence de traitement n’a pas tardé à soulever la réprobation en Suède, où la chef de la diplomatie, Margot Wallström, est accusée de ne pas en avoir fait assez pour obtenir la libération de l’écrivain, contrairement à son homologue allemand, qui aurait mis la pression sur Madrid pour que Dogan Akhanli soit immédiatement relâché.

La première salve a été tirée par Hamza Yalcin, qui, depuis son centre de détention espagnol, témoigne de sa déception à l’égard du royaume scandinave, où il s’est réfugié il y a trente ans et dont il est devenu citoyen, rappelle-t-il, mais qui ne s’est pas montré « à la hauteur de sa souveraineté et de ses valeurs démocratiques ».

« Tysk diplomati »

Jeudi 24 août, le quotidien Svenska Dagbladet relayait ses critiques, exigeant que Stockholm mette fin à la « tyst diplomati » (la diplomatie silencieuse) pour adopter la « tysk diplomati » (la diplomatie allemande). Le Dagens Nyheter a dénoncé pour sa part « le silence honteux » de Margot Wallström, notant que « la Turquie n’est pas un Etat de droit » et que, si l’Allemagne le sait, « apparemment pas la Suède ».

Se défendant d’être restée inactive, la ministre assure qu’elle-même et son gouvernement ont « fait connaître depuis longtemps clairement aux dirigeants turcs leur vision des évolutions très inquiétantes en Turquie ». Elle a aussi précisé que Stockholm comptait s’assurer que les mandats d’Interpol ne puissent être utilisés à des fins politiques. Une préoccupation déjà formulée par la chancelière allemande Angela Merkel.