Derrière le slogan « No tinc por » (« Je n’ai pas peur », en catalan), 500 000 personnes ont manifesté, selon la police. / ALBERT GEA / REUTERS

Derrière le slogan « No tinc por » (« Je n’ai pas peur », en catalan), Barcelone a de nouveau manifesté contre le terrorisme samedi 26 août, neuf jours après les attentats qui ont fait 15 morts dans la capitale catalane et dans la station balnéaire de Cambrils.

Le grand rassemblement pour la paix, qui a réuni 500 000 personnes selon les estimations de la police, n’a toutefois pas réussi à cacher que la trêve est définitivement rompue entre Madrid et Barcelone. Cela s’est vu dans la rue. Agitant des « esteladas » (« l’Etoilée », en catalan), le drapeau des indépendantistes, un grand nombre de manifestants n’ont pas caché leur hostilité envers le roi, Felipe VI, présent dans la manifestation.

Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, avait appelé vendredi « tout le monde à participer » à cette manifestation organisée par le gouvernement catalan et la mairie de Barcelone. La maire, Ada Colau, voulait ainsi conclure une « semaine difficile » et rendre hommage « à la société civile ». Et tout particulièrement « aux secouristes, aux pompiers, aux services sociaux, aux employés municipaux, à la police, aux taxis, aux commerçants » qui, les premiers, ont porté secours aux victimes. Ce sont eux qui ont ouvert la marche.

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« Nous ne sommes pas seuls »

Sur la place de Catalogne, la cérémonie a été très brève. L’actrice catalane Rosa Maria Sardá et Miriam Hatibi, porte-parole de la Fondation Ibn Battuta qui promeut le rapprochement « entre les pays arabes et l’Europe », devenue ces jours derniers symbole de l’intégration des musulmans en Catalogne, ont lu une déclaration « contre la peur ».

Les terroristes « n’arriveront pas à nous diviser car nous ne sommes pas seuls. Comme nous, des millions de personnes rejettent la violence à Manchester, à Nairobi, à Paris, à Bagdad, à Bruxelles, à New York, à Berlin et à Kaboul », a dit Rosa Maria Sardá.

Deux violoncellistes ont ensuite interprété le Cant Dels Ocells (Chant des oiseaux), une chanson traditionnelle catalane que le compositeur Pau Casals avait jouée à la Maison Blanche en 1961 en signe de refus de la dictature de Franco. Les fleuristes de La Rambla, premiers témoins des attentats, ont distribué des milliers de roses rouges, blanches et jaunes, les couleurs de la ville de Barcelone.

« Esteladas » contre le roi

Mais s’ils ont défilé ensemble sur le Paseo de Gracia, les manifestants étaient loin d’être unis. Sur les pancartes, on pouvait lire des messages à la fois contre le terrorisme, « la meilleure réponse, la paix », et contre le monarque espagnol : « Felipe, qui veut la paix ne trafique pas avec les armes ».

« Vos politiques, nos morts », pouvait-on lire sur une grande pancarte bleue avec l’effigie du monarque espagnol et du roi d’Arabie Saoudite, située en début de cortège et bien en vue des caméras.

« Le roi devait venir, en tant que chef d’Etat, mais je ne suis pas d’accord avec le fait qu’il soit là », dit Lorien Consejo. Il arbore à la fois une pancarte qui proteste contre des dirigeants « qui ne me représentent pas » et une « estelada ». Les dirigeants sont ceux du gouvernement de Madrid, « indirectement responsable des attentats, car il vend des armes aux pays qui soutiennent les djihadistes ». Quant au drapeau, « chacun doit se manifester comme il se sent, même si cela implique faire de la politique » lors d’un rassemblement unitaire, ajoute-t-il.

« Vos politiques, nos morts », pouvait-on lire sur une pancarte bleue avec l’effigie du monarque espagnol et du roi d’Arabie Saoudite, située en début de cortège et bien en vue des caméras. / JUAN MEDINA / REUTERS

Le premier ministre Mariano Rajoy et le roi Felipe VI ont d’ailleurs été accueillis par les sifflets intenses de nombre de manifestants qui protestaient contre leur présence. « Fora Borbón » (« Dehors les Bourbon » en catalan) scandaient quelques-uns. C’était la première fois qu’un souverain espagnol se joignait à des manifestants depuis le rétablissement de la monarchie en 1975.

Entre Madrid et Barcelone, la trêve des attentats est donc définitivement rompue. Vendredi 25 août, dans une interview accordée au Financial Times, le président catalan, Carles Puigdemont, a accusé M. Rajoy de « politiser la sécurité » en limitant l’accès de la police régionale aux fichiers d’Europol, ce que Madrid nie fermement. Le gouvernement conservateur « a d’autres priorités », s’est plaint M. Puigdemont.

Le responsable catalan a également détaillé, pour la première fois depuis les attaques, les préparatifs pour l’organisation, le 1er octobre prochain, d’un référendum unilatéral d’autodétermination. « Nous avons plus de 6 000 urnes de vote. Je ne vois pas comment [Madrid] pourrait nous arrêter », a ajouté le responsable catalan au quotidien britannique.

« Défendre ensemble notre modèle »

« Ce n’est vraiment pas le moment de mélanger les choses, je suis contre cette guerre de symboles », regrette de son côté Fernando Gomez, qui a finalement décidé de garder dans son sac le drapeau espagnol qu’il avait amené. « C’était évident que tout aller se politiser mais on aurait pu attendre encore un peu. »

Emma Grau pense au contraire que « c’est maintenant qu’il faut dire les choses » et surtout manifester « contre un monarque qui n’est venu ici que pour se faire prendre en photo ». C’est le message qu’elle veut transmettre « au pays voisin, l’Espagne ».

« Aujourd’hui nous sommes en deuil et c’est ce que nous voulons manifester. Nous devons défendre ensemble notre modèle de société, même si nous n’avons pas les mêmes idées », tient à souligner Marisa Cordero. « On aura le temps demain de parler de politique. »

Grande manifestation à Barcelone, neuf jours après les attentats