LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine, les journalistes du Monde vous recommandent deux documentaires stimulants et un film émouvant.

« Des trains pas comme les autres » en campagne italienne

Cap sur la Méditerranée et ses villages pittoresques nichés sur la côte italienne pour ce numéro de la série Des trains pas comme les autres. Moyen de transport – mais surtout prétexte idéal pour redécouvrir quelques poncifs de la culture transalpine –, mais aussi moyen de se repaître de décors et de coutumes insoupçonnés. Par exemple, dans les rues étroites de Gênes et sa ribambelle de petits commerces surannés qui font le charme de ce port industriel. L’échange avec les habitants est facile, le ton frivole, et la mentalité affable, telle qu’on l’accorde bien volontiers aux Italiens.

A travers diverses rencontres, le téléspectateur visite des villages médiévaux des Cinq Terres en Toscane, classés au patrimoine mondial de l’Unesco, la ville de Vérone ou encore la paisible Venise. Le documentaire laisse croire à des rendez-vous inopinés, comme offerts par hasard, au gré des rencontres et d’un périple à travers des paysages bucoliques et paisibles. Peut-être se contenterait-on de moins de conseils touristiques pour pouvoir profiter de la tranquillité des lieux. Rémi Lefebvre

Des trains pas comme les autres : Italie du Nord, de Gênes à Venise, d’Alex Badin (Fr., 2017, 50 min). Sur Pluzz.

 

« British Style », à rebrousse-poil

British Style - ARTE
Durée : 08:48

« C’est l’enfer ! », annonce Loïc Prigent au début de British Style : « Les Anglais ont les rues les plus déprimantes du monde. Avec du smog [brouillard de pollution] le lundi, du crachin le mardi, Margaret Thatcher le mercredi, des flageolets le jeudi et encore du smog le vendredi. » Pendant les sept premières minutes de son documentaire, le réalisateur se paie gentiment la tête de nos voisins d’outre-Manche en passant en revue, sans la moindre retenue, les clichés les plus éhontés. Le tout en ponctuant son propos – lu de ­sa propre voix d’insolent gandin – d’environ quatre-vingt-dix-sept occurrences de la question rituelle : « Vous voulez du thé ? »

Mais c’est pour mieux brosser le portrait esthétique du pays, dont le poil ne va pas toujours dans le bon sens, que le documentariste spécialiste de la mode n’y va pas avec le dos de la cuillère. Car la vieille Angleterre, apparemment très comme il faut et bien sous tous rapports, est une terre d’excès, qu’il en aille de l’uniforme aux vertus inclusives ou de la singularité aux accents excentriques. British Style est très bien et très vivement réalisé, léger, amusant et frais. Renaud Machart

British Style, de Loïc Prigent (Fr., 2017, 52 min). Artetv encore pendant trois semaines.

 

« Le Maître d’escrime », sur fond de stalinisme

Que vient donc faire, au début des années 1950, ce jeune homme athlétique, au regard triste, dans un trou perdu du fin fond de la République socialiste soviétique d’Estonie ? Sur le quai brumeux de la petite gare d’Haapsalu, il est descendu du train en provenance de Leningrad, avec un gros sac sur l’épaule. Seul.

L’homme traverse la gare, le village puis la cour de l’école, lieu de son nouveau job, enveloppé d’une lumière teintée de bleu et de gris que seules les affiches rouges de la propagande stalinienne viennent troubler. Arrivé dans le bureau du directeur, il lui présente ses diplômes. « Pourquoi quitter une grande ville pour venir ici ? », interroge son supérieur. « Je ne m’y suis jamais senti à l’aise », rétorque le camarade Endel Nelis. Evidemment, la raison d’un tel changement de vie est beaucoup plus sérieuse et résume l’histoire dramatique de l’Estonie, occupée par les Allemands pendant la guerre, puis par les Soviétiques.

Né en 1925, Endel Nelis a été incorporé de force, comme tous ­les garçons de son âge, dans l’armée allemande. Parvenant à s’échap­per et à se cacher dans la forêt, il rejoint Leningrad après la guerre, où il change d’identité en prenant le nom de sa mère.

Märt Avandi, dans « Le Maître d’escrime » de Klaus Härö. / ARTE

Remarquable escrimeur, il devient maître d’armes. Mais aux yeux des autorités, un tel personnage est forcément suspect, sans compter que l’escrime, comme le soulignera plus tard le directeur de l’école d’Haapsalu, « n’est pas un loisir très approprié à la jeunesse prolétaire ». Ce film émouvant rappelle par moments l’atmosphère d’Est-Ouest (1999), de Régis Wargnier, dont l’action débutait en 1946 dans les ténèbres de l’URSS stalinienne.

On souhaite que l’histoire d’amour entre le nou­­vel arrivant (joué par Märt Avandi) et Kadri, la jeune prof (Ursula Ratasepp) puisse aller loin. La lumière et la musique sont belles, les costumes signés Tina Kaukanen donnent une crédibilité supplémentaire à cette histoire qui foudroie les destinées : les pères sont absents, morts ou déportés. Alain Constant

Le Maître d’escrime, de Klaus Härö. Avec Märt Avandi, Ursula Ratasepp, Joonas Koff (Finlande, 2015, 90 min). Jusqu’au 1er septembre sur arte.tv