Réforme du code du travail, projet de loi antiterroriste, rentrée scolaire… de nombreux dossiers attendent le gouvernement pour cette rentrée alors que le premier été de l’ère Macron a fortement abîmé l’image du chef de l’Etat, qui dégringole dans les sondages. Lundi 28 août, l’exécutif s’est réuni pour un séminaire de travail en vue des prochaines semaines, rythmées par les réformes promises, et qui s’annoncent difficiles.

Nicolas Chapuis, chef du service politique au Monde, a répondu à vos questions.

Vincent : Comment expliquer une telle tension alors que l’opposition semble très faible et ne parvient pas à mobiliser ? Ne s’agit-il pas d’une mise sous pression artificielle face à l’absence d’alternative ?

Nicolas Chapuis. Vous avez raison sur un point : l’opposition en France est aujourd’hui en piètre état et ne saurait créer un rapport de force à même de mettre à mal le gouvernement. La rentrée de la droite (qui est numériquement la première force d’opposition dans l’Hémicycle) est de ce point de vue assez parlante avec des rendez-vous éclatés et aucune unité de parole. Jean-Luc Mélenchon a su saisir l’occasion pour tenter de ce fait de prendre la tête de la contestation (en s’appuyant sur la loi travail) en cette rentrée politique. On verra dans la rue le 23 septembre s’il peut tenir ce rôle de premier opposant.

En revanche, la tension de la rentrée n’est pas artificielle. A vrai dire, ce n’est pas l’opposition qui l’a créée… mais le pouvoir lui-même, avec un été mal géré, émaillé de polémiques, comme la baisse des APL, et une rentrée lors de laquelle s’accumulent les mauvaises nouvelles (notamment fiscales) pour les classes moyennes. Le suspense autour de la parution des cinq ordonnances sur la modification du code du travail entretient en outre cette tension dramatique. Beaucoup de personnes sensibles à ce thème attendent de savoir à quelle sauce elles vont désormais être mangées.

Jm : Avec une contestation sociale importante, l’exécutif peut-il céder sur certains points majeurs ?

Deux rendez-vous sont prévus dans la rue, le 12 septembre à l’appel de la CGT, et le 23 septembre à l’appel de M. Mélenchon. Le fait que les deux ne soient pas coordonnés n’est pas un bon signal. Cependant, il faut attendre de voir combien de personnes seront présentes.

En tout état de cause, il semble difficile que le gouvernement recule sur l’une des promesses de la campagne électorale, qui plus est sur une réforme qui est l’une des pierres angulaires du « macronisme ». Pour le président, un recul signifierait que tout son discours sur le « réformisme » est caduc. Ce serait en quelque sorte la fin du quinquennat avant même qu’il ait commencé. J’ajoute qu’il est plus difficile de faire monter une contestation sociale quand la loi a déjà été votée. C’est tout le pari d’Emmanuel Macron : en utilisant les ordonnances, il s’évite un long débat parlementaire qui permettrait à l’opposition de s’organiser.

Jocelin : Quelles stratégies de communication peuvent être utiles dans un climat de crise, étant donné que chaque exécutif essaye de nouvelles stratégies sans réel succès ?

Il n’y a manifestement pas de recette miracle. Il semble que les Français soient de plus en plus prompts à se lasser d’un nouveau pouvoir. Emmanuel Macron en a manifestement conscience, puisqu’il a décidé de changer sa stratégie de communication du tout au tout. Malgré les démentis de l’Elysée, le président s’est réellement posé la question d’une intervention radio ou télé, sur le modèle des causeries au coin du feu, une ou deux fois par mois. On est loin de la raréfaction de la parole présidentielle, théorisée au début du quinquennat. S’il s’adresse davantage aux médias, le chef de l’Etat semble chercher un moyen de les court-circuiter pour avoir une expression plus directe avec les Français. Beaucoup s’y sont essayés avant lui, avec plus ou moins de succès…

Ag : Comment explique-t-on cette chute de popularité sans même que le président ait commencé à mettre en œuvre ses idées ? On le juge comment ? Et pourquoi ?

Manifestement, un certain nombre de Français jugent sévèrement son premier été à la tête du pays. La communication excessive autour des vacances du président et de ses sorties très scénarisées n’a pas porté ses fruits. Le renouveau, porté par Emmanuel Macron, a créé une attente et donc une exigence. De plus, une partie des personnes sondées a pu être déçue par les premiers choix budgétaires ou fiscaux.

Bidibul : Que peut-on dire de la mobilisation syndicale ? A part [les mobilisations auxquelles appellent] la CGT et La France insoumise, quelles sont les actions prévues par les autres représentations syndicales et leur avis sur les ordonnances à venir [sur le code du travail] ? Elles n’y semblent pas particulièrement opposées…

La CGT et SUD vont s’opposer au texte. La CFDT devrait plutôt être un soutien des ordonnances. La grande incertitude concerne FO, dont l’attitude peut faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Il semble qu’elle ne rejoindra pas la CGT et SUD dans une opposition frontale au texte. Mais les représentants syndicaux n’ont vu que les trois quarts des ordonnances. Il reste dans les textes quelques points « durs » pour FO (et même pour la CFDT), comme la possibilité dans les petites entreprises de négocier sans présence syndicale.

Paul : Après cet été chaotique pour le président, peut-on s’attendre à une fronde plus importante au sein de La République en marche ?

Pour l’instant, la tonalité au sein du groupe LRM semble au contraire de vouloir être beaucoup plus offensif pour porter l’action du président. Si critique il y a au sein du groupe, c’est plutôt pour pointer l’absence de coordination dans la riposte à Jean-Luc Mélenchon et à la droite. Les députés veulent être plus présents médiatiquement en cette rentrée pour défendre les réformes. En revanche, il y a eu des premières crispations au cœur de l’été, avec quelques élus qui se sont interrogés sur leur « vocation » de députés, qui se sont sentis inutiles, et qui ont envisagé de quitter le navire pour retourner dans le privé. Les responsables du groupe ont réussi à les convaincre de ne pas abandonner. Pour le moment.

Matthieu : Un remaniement avec de nouveaux ministres plus « politiques » et plus pédagogues est-il envisageable après un éventuel blocage autour de la loi travail ?

A l’heure actuelle, aucun remaniement n’est prévu. Mais la justice pourrait en décider autrement. L’enquête sur le rôle joué par Muriel Pénicaud, l’actuelle ministre du travail, dans l’affaire de Las Vegas se poursuit. Si elle est mise en examen, elle devra démissionner, selon la règle édictée par l’exécutif.