LES CHOIX DE LA MATINALE

Au menu cette semaine, un thriller mental dans le monde paysan, le désir d’émancipation individuelle face à l’emprise familiale, l’hommage à un ami mort en Afrique, une petite sirène mélomane et une rétrospective Jacques Tourneur à la Cinémathèque.

LA RÉUSSITE AU RISQUE DE LA FAMILLE : « Le Prix du succès », de Teddy Lussi-Modeste

LE PRIX DU SUCCÈS Bande Annonce (2017) Tahar Rahim, Maïwenn, Roschdy Zem
Durée : 02:04

Brahim (Tahar Rahim), artiste de stand-up issu de l’immigration maghrébine, est en pleine ascension. Fidèle à sa famille – des gens très modestes auxquels il vient en aide –, et toujours flanqué de son frère Mourad (Roschdy Zem, bluffant, comme d’ordinaire), un énergumène éruptif et envahissant qui l’a accompagné comme homme à tout faire dans sa réussite, il ressent le besoin de voler enfin de ses propres ailes, de donner un autre tour tant à sa vie qu’à son développement artistique.

Ce désir va se heurter aux attentes de sa propre famille. Sans doute le phénomène de l’emprise familiale, avec ses mécanismes pervers et ses jalousies pathologiques, est-il universel. Il se double ici, à l’évidence, d’un contentieux historique et social qui en redouble la violence. Une communauté marginalisée et humiliée perçoit comme une trahison le mouvement légitime d’émancipation individuelle d’un de ses membres. Sa réussite sociale et sentimentale, dès lors qu’elle n’est plus contrôlée par la famille, dès lors qu’elle ne lui profite plus, est vécue comme une atteinte à l’intégrité communautaire autorisant l’expression d’un rejet haineux. J. M.

Film français de Teddy Lussi-Modeste. Avec Tahar Rahim, Roschdy Zem, Maïwenn (1 h 31).

UN DRAME RURAL FACON THRILLER : « Petit paysan », d’Hubert Charuel

PETIT PAYSAN Bande Annonce (Film Français 2017)
Durée : 01:58

Révélé en mai par la Semaine de la critique, le premier long-métrage d’Hubert Charuel, Petit paysan, accrédite l’idée selon laquelle la diversité sociale, et donc des points de vue, est propice au renouvellement des formes. En traitant ce drame rural comme un thriller mental, il rompt à tout le moins avec une certaine doxa selon laquelle le monde paysan ne pourrait appeler autre chose qu’une approche documentaire, ou naturaliste. Ponctué par des moments de tension dignes d’une salle de marché un jour de krach boursier, le film confirme, si besoin était, que la vérité au cinéma passe plus volontiers par la transfiguration du réel que par son imitation.

Signe d’un instinct très sûr, la mise en scène d’Hubert Charuel repose sur une remarquable économie de moyens. Un nombre de décors réduit au minimum, une poignée d’acteurs qui gravitent autour du tête-à-tête tendu entre le minéral Swann Arlaud et ses vaches massives, silencieuses, enveloppées dans leurs robes magnifiques, un cadrage au cordeau, un travail subtil de la lumière et du son, lui suffisent à créer un monde. Isabelle Regnier

Film français d’Hubert Charuel. Avec Swann Arlaud, Sara Giraudeau (1 h 30).

DÉCOUVERTE D’UN TEMPÉRAMENT NIPPON : « Lou et l’île aux sirènes », de Masaaki Yuasa

Lou et l'île aux sirènes BANDE ANNONCE (Animation, 2017) FilmsActu
Durée : 01:13

Lou et l’île aux sirènes, grand lauréat du Festival d’Annecy 2017, fait découvrir le travail unique d’un petit génie du genre, Masaaki Yuasa. Ce cinéaste d’animation de 52 ans est l’inventeur d’un style hors du commun, pétri d’expérimentations visuelles, dont la labilité graphique et la dynamique survoltée n’appartiennent qu’à lui. Il doit l’essentiel de sa réputation à l’explosif Mind Game (2004, sorti directement en DVD), un premier long-métrage mutant et composite, sous forme de délire « méta » sur les puissances de l’animation.

Le récit de son nouveau film, d’essence délibérément juvénile, s’ancre dans un petit port de pêche où Kai, collégien taciturne, rumine la séparation de ses parents et s’absorbe en solitaire dans des compositions musicales. Deux camarades de classe le convainquent de former un groupe et d’aller répéter sur une île abandonnée, cachée derrière une falaise et interdite d’accès.

Là-bas, en pleine répétition, ils rencontrent Lou, une sirène enfantine attirée par leurs morceaux et qui possède d’étranges pouvoirs, comme celui de faire danser les humains. Kai s’épanouit au contact de la petite créature, jusqu’à ce que les adultes, craintifs et superstitieux, se piquent de la capturer. Ce grave affront à la nature est sanctionné par une montée immédiate des eaux, susceptible de ravager le hameau. Mathieu Macheret

Film d’animation japonais de Masaaki Yuasa (1 h 52).

TOMBEAU POUR UN AMI MORT TROP JEUNE : « Gabriel et la montagne », de Fellipe Barbosa

Gabriel et la Montagne - de Fellipe Barbosa - Bande Annonce vost

Le second long-métrage de Fellipe Barbosa, 37 ans, entreprend de reconstituer les derniers mois africains d’un voyage au long cours d’un ami d’enfance du réalisateur, Gabriel Buchmann, retrouvé mort d’épuisement sur le mont Mulanje, au Malawi, en 2009. Pour ce faire, Barbosa recourt au service d’acteurs (Joao Pedro Zappa et Caroline Abras, merveilleux) pour interpréter le personnage principal et sa petite amie, Cristina, qui l’a accompagné quelques semaines durant ce voyage, et les lance sur les traces des protagonistes originels, dans un environnement géographique et humain qui demeure, lui, inchangé.

Ce dispositif ménage une rencontre louvoyante et fertile entre la fiction et le documentaire ; il se charge par surcroît d’une forte intensité émotionnelle dès lors que le spectateur comprend, au début du film, qui met en scène la découverte du corps du disparu, qu’il est une manière d’hommage fraternel rendu par le réalisateur à son ami. Jacques Mandelbaum

Film brésilien de Fellipe Barbosa. Avec Joao Pedro Zappa, Caroline Abras (2 h 07).

RÉTROSPECTIVE : Jacques Tourneur à la Cinémathèque française

Cat People (1942) Trailer
Durée : 01:06

Jacques Tourneur est considéré, à juste raison, comme l’un des grands maîtres du fantastique hollywoodien, grâce à une poignée de films produits par la RKO (La Féline, Vaudou, L’Homme-Léopard) dans les années 1940. L’élégance suprême d’un style celé et suggestif y est, de fait, portée à son plus haut niveau.

Fils de Maurice Tourneur, lui-même cinéaste de la période muette, mandaté par la firme Eclair dans le Nouveau Monde, Jacques, qui réalisa quelques films en France (parmi lesquels Pour être aimé, en 1933) construira finalement sa carrière aux Etats-Unis, où il s’illustrera avec talent dans de nombreux autres genres que le fantastique, comme le film noir (La Griffe du passé, 1946) ou le film d’aventures (La Flèche et le Flambeau, 1950). Un destin et un art singuliers, à redécouvrir. J. M.

Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris 12e. Du 30 août au 8 octobre.