« Je crois de plus en plus que Nestler a été le cinéaste le plus important en Allemagne depuis la guerre – mis à part les gens plus âgés qui ont pu tourner ici, Fritz Lang, et mis à part La Peur, de Rossellini. » Ces mots, ce sont ceux de Jean-Marie Straub à propos de son ami Peter Nestler, cinéaste et documentariste allemand mis à l’honneur lors de la 29e édition des Etats généraux du film documentaire de Lussas (20-26 août). Une programmation qui fut l’occasion de découvrir quelques pièces maîtresses d’une œuvre prolifique et largement méconnue du public français, alors que le cinéaste, présent à Lussas, vient de fêter ses 80 ans.

Chez Nestler, et c’est ce qui plaît certainement à Straub, il n’y a pas la moindre trace de séduction, de coup de force, au prix parfois d’une certaine aridité : « Il n’a filmé que ce qu’il a filmé et n’a pas essayé de chatouiller les gens. » Aucune « chatouille » donc, mais un cinéma méthodique, dépouillé et s’astreignant à la plus grande pédagogie – le cinéaste a beaucoup travaillé pour la télévision. Nestler use de tous les formats et emploie une matière infiniment variée : dessins, archives, œuvres d’art, images fixes ou tournées sur le vif.

Souffle d’indignation critique

Son camp est celui des minorités, des opprimés, son point de vue, celui d’une histoire politique et sociale toujours empreinte d’une lecture farouchement marxiste. Bien que ses thèmes soient divers, tous ses films sont traversés par un même souffle d’indignation critique joint à une volonté d’enseigner. Qu’il s’agisse d’évoquer la nature et la paysannerie décimées par l’industrialisation, l’histoire du peuple grec juste avant le coup d’Etat de 1967, l’extermination des tsiganes par les nazis ou le Chili d’Allende étouffé par l’impérialisme américain abordée dans Chilefilm (Film chilien, 1974), document inédit produit par la télévision suédoise et jusque-là jamais diffusé. Destiné à un public de jeunes spectateurs, ce film démontre à quel point Nestler s’est toujours astreint à la plus grande pédagogie, malgré la complexité des thèmes abordés.

Dans Warum ist Krieg? (Pourquoi la guerre ?, 1970), documentaire à la frontière entre l’essai et le pamphlet, le cinéaste remonte jusqu’à la préhistoire pour retracer les origines de la guerre. Il y a chez Nestler, une stupéfaction incessante, toujours renouvelée, face à ce que l’homme est capable de faire à l’homme, à ce que les classes dominantes font endurer au peuple. Oppression immémoriale que le cinéaste tente de comprendre et de déconstruire, comme pour apaiser le feu d’une colère restée intacte de film en film.

Enfants omniprésents

Etonnement perpétuel, à l’innocence parfois désarmante : « Pourquoi n’ont-ils pas pitié ? Pourquoi sont-ils cruels ? ». Le commentaire se veut parfois littéral et nomme ce qu’il filme, d’autres fois, il prend ses distances et provoque un contraste critique entre ce qui apparaît et ce qui est dit. C’est notamment le cas dans Sightseeing (1968), film-pamphlet où un texte incisif de Peter Weiss sur la guerre du Vietnam s’égrène sur des images tranquilles de grands magasins et de cafés en Suède.

Ses films, souvent commentés par sa propre voix, ont la simplicité et la clarté d’un cinéaste-instituteur qui prodiguerait un cours d’histoire politique à ses élèves. Les enfants sont d’ailleurs omniprésents dans la filmographie de Nestler, qu’ils soient le sujet d’un film ou ses destinaires. Nestler s’adresse à eux, mais il est aussi l’un des leurs. L’enfant constitue peut-être le spectateur idéal pour son œuvre, le plus à même de comprendre et d’être atteint. L’enfant comme figure politique, empathique ; l’enfant comme alter ego. Le militantisme de Nestler est lui-même empreint d’une candeur tourmentée, évoque une plaie à vif que la longue liste des films réalisés tenterait désespérement de panser.