Bernard Laporte, à Toulon, le 7 octobre 2015. / Frédéric Lancelot / Presse Sports

Faudra-t-il, un jour, écrire un second volume des Petites Histoires secrètes du rugby (Solar, 2013) ? Depuis deux semaines, l’auteur de ce livre, Bernard Laporte, est confronté à de nouvelles « petites histoires » autrement plus compromettantes. Retour sur les soupçons qui fragilisent fortement sa position à la présidence de la Fédération française de rugby (FFR).

  • Ce qui est reproché à Bernard Laporte

Bernard Laporte, élu président de la FFR en décembre 2016, est soupçonné d’avoir favorisé le club de Montpellier alors qu’il entretenait des relations d’affaires avec le président de la formation héraultaise. En cause : un contrat d’image conclu en février 2017 entre M. Laporte et Mohed Altrad, le dirigeant montpelliérain. Le 28 août, la FFR a annoncé la rupture immédiate de ce contrat.

Tout est parti d’une révélation du Journal du dimanche. Le 13 août, le quotidien révèle qu’en tant que dirigeant de la société BL Communication, Bernard Laporte a signé il y a six mois un contrat lui offrant 150 000 euros pour animer au moins quatre conférences ou séminaires : des interventions prévues en décembre pour le groupe Altrad Investment Authority, dirigé par Mohed Altrad et qui fabrique du matériel pour le secteur du bâtiment

Un second article du JDD, le 27 août, ajoute au trouble. Le témoignage est accablant : à la fin du mois de juin, Bernard Laporte aurait sollicité la commission d’appel de la FFR pour qu’elle se prononce « dans un sens beaucoup plus favorable à Montpellier », selon une lettre de l’un de ses treize membres, Philippe Peyramaure, à Jean-Daniel Simonet, président de ladite commission.

« Avisé » d’une supposée intervention, M. Peyramaure a présenté sa démission en guise de protestation. L’avocat parisien représentait la Ligue nationale de rugby (LNR) au sein de ce collège.

Le 30 juin, la commission d’appel a effectivement allégé des sanctions prises par la commission de discipline de la LNR pour divers dossiers concernant le club de Montpellier : une histoire de banderoles de supporteurs ainsi que les suspensions de deux joueurs montpelliérains, les frères Du Plessis, Jacques et Jannie.

  • Ce que répond M. Laporte

Au cœur de la mêlée, Bernard Laporte nie en bloc les pressions dont l’accuse Philippe Peyramaure. L’ancien entraîneur de Toulon (2011-2016) a pris le temps avant de répliquer. « Je n’ai rien dissimulé. (…) Tout est légal », a-t-il assuré dans un entretien au Parisien, mis en ligne dans la soirée du 29 août.

M. Peyramaure « est instrumentalisé », selon M. Laporte, par des « gens qui ne supportent pas » de le voir à la présidence de la FFR. « J’ambitionne de réformer le rugby français au profit du rugby amateur et de l’équipe de France, ce qui dérange », affirme l’ancien sélectionneur du XV de France (2000-2007) puis secrétaire d’Etat aux sports sous le gouvernement Fillon (2007-2009).

Le président de la FFR reconnaît avoir appelé le président de la commission d’appel, Jean-Daniel Simonet, avant la réunion du 30 juin. Mais « dans le respect de [son] indépendance », déclare-t-il au Parisien. « N’oubliez pas que, depuis les trois dernières années, cette commission a jugé vingt-neuf dossiers. Vingt se sont traduits par un amoindrissement des peines. Il n’y a donc rien d’exceptionnel. »

Bernard Laporte affirme avoir simplement voulu donner à M. Simonet « un éclairage politique après une crise grave avec le rugby professionnel qui nous avait menés devant le Conseil d’Etat », au sujet de reports de matchs du Stade français et du Racing.

Se présentant volontiers comme un président bénévole, l’homme d’affaires Bernard Laporte a déjà prévu « d’autres interventions ou séminaires pour disposer de revenus ». « Ce ne sera plus avec une grande entreprise partenaire d’un club de rugby professionnel », précise l’ancien consultant pour RMC, qui a également proposé à la hâte la création d’une haute autorité pour la transparence et l’éthique dans le rugby.

  • Ce qui se joue à la FFR

Outre Philippe Peyramaure, quatre autres membres de la commission d’appel fédérale ont démissionné en l’espace de trois jours : Benjamin Peyrelevade, Julien Bérengeret, Vincent Chaumet-Riffaud et, enfin, Patrice Michel. Quatre départs qui affaiblissent d’autant la Fédération. « Les conditions ne sont plus réunies pour siéger », a estimé, mercredi, Patrice Michel, procureur de la République à Toulouse et dernier démissionnaire en date, sur RMC.

La commission ne compte donc plus que huit de ses treize membres. L’un d’eux, Jean Ormières, pourrait bientôt également quitter ses fonctions : il faisait savoir mardi à l’AFP qu’il prendrait une décision après s’être rendu à la réunion de la commission, mercredi après-midi à Marcoussis (Essonne), au siège de la FFR.

Mardi, par communiqué, le président de la commission d’appel affirmait son soutien à M. Laporte. Jean-Daniel Simonet assurait avoir tranché de façon « conforme à la jurisprudence » et démentait avoir fait l’objet de pressions, le 30 juin, lors de ses décisions impliquant le club de Montpellier.

Pour sa part, dépassée par ses démissions en série, la « Fédé » française de rugby affirmait dès lundi dans un communiqué son intention de « faire cesser toute forme de suspicion à l’encontre des instances nationales du rugby et de son président ».

  • Ce qui menace Bernard Laporte

Homme d’affaires, secrétaire d’Etat, consultant télé et radio, joueur, entraîneur : à 53 ans, Bernard Laporte a déjà enfilé plusieurs costumes ou vestes de survêtement. Mais, dans ce contexte délicat, réussira-t-il à conserver la présidence de la FFR jusqu’au terme de son mandat de quatre ans ?

A 72 %, les internautes de L’Equipe souhaitent le voir démissionner, sur près de 15 000 votants. « Bernie le Dingue », le surnom donné par ses anciens joueurs, a rappelé son intention de rester en fonctions. En décembre 2016, M. Laporte écartait du pouvoir son prédécesseur Pierrre Camou, resté huit ans en place.

La nouvelle ministre des sports, Laura Flessel, se donne encore « quelques jours » avant de se prononcer sur la question. L’ex-championne olympique d’escrime a annoncé vouloir faire preuve d’intransigeance : à propos de la campagne pour l’organisation de la Coupe du monde 2023, « la candidature se fera avec ou sans Bernard Laporte », a-t-elle insisté sur BFM-TV Sports. La Fédération internationale de rugby élira le pays hôte, le 15 novembre, entre l’Afrique du Sud, l’Irlande ou la France.

Là aussi, la partie se complique : parmi ses principaux sponsors, le dossier français compte le groupe Altrad. Un sponsor, dont le nom s’est aussi installé sur le maillot du XV de France, qui était resté immaculé jusqu’en mars 2017.