Fusion des instances représentatives du personnel, indemnités prud’homales, licenciement économique, concessions du gouvernement… Michel Noblecourt, éditorialiste du Monde, spécialiste des questions sociales est revenu, lors d’un tchat, sur le contenu des ordonnances visant à réformer le code du travail et dévoilées jeudi 31 août par le gouvernement.

Rom24 : Ces ordonnances constituent-elles réellement un bouleversement du code du travail et du dialogue social en France ?

Michel Noblecourt : Bonjour, ces ordonnances ne constituent pas la « révolution » annoncée par Emmanuel Macron ou un grand chambardement mais elles vont aboutir à une refonte importante du code du travail en privilégiant le développement de la négociation dans les entreprises avec une priorité assumée en faveur des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Dans toutes les entreprises de moins de 20 salariés, qui n’ont pas d’élu du personnel, l’employeur pourra négocier directement avec ses salariés sur tous les sujets. Cela signifie un accroissement du pouvoir du chef d’entreprise de prendre des décisions unilatérales qu’il fera ensuite ratifier, sans difficultés, par un référendum… Il aura les mains libres.

Soso : Dès votre première réponse, vous assimilez faculté de négociation directe dans les TPE à la capacité pour l’employeur de prendre des décisions unilatérales. N’est-ce pas ce genre de raccourci, pourtant contradictoire par construction, qui discrédite gratuitement une réforme, l’intelligence des salariés et même le journalisme ?

Dans les TPE de moins de onze salariés, il y a de fait une grande proximité entre l’employeur et ses salariés. Un salarié hésitera davantage à s’opposer à quelqu’un qu’il côtoie tous les jours et auquel le lie un lien de subordination, sous peine d’être mis à l’index. C’est un constat qui ne met en cause ni l’intelligence du salarié ni celle du journaliste…

Flexicompétitif agile : Cette réforme du code du travail introduit-elle des droits nouveaux pour les salariés, si oui lesquels ? Ou est-ce simplement une régression sociale ?

Je ne dirai pas qu’il s’agit d’une régression sociale mais il est vrai que cette réforme n’accorde pas beaucoup de droits nouveaux aux salariés. L’objectif annoncé est plutôt de favoriser le développement des négociations dans les entreprises en considérant que c’est dans ce cadre-là que les salariés pourront obtenir des droits nouveaux. Dans sa conférence de presse, Muriel Pénicaud a insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’il y aura un supplément de « grain à moudre ». Mais la démonstration reste encore à faire. Toutefois, comme je le disais plus haut, il y a de nouvelles garanties qui sont accordées aux élus syndicaux.

Neil : Combien le futur conseil économique et social aura-t-il de membres titulaires ?

Le conseil social et économique qui sera mis en place résultera de la fusion du comité d’entreprise, des délégués du personnel et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail mais on n’a pas encore d’indications sur les moyens dont il disposera (nombre de membres, crédits d’heure pour l’exercice des mandats). Ce conseil conservera les prérogatives des instances qui auront été fusionnées. Mais les moyens dont il disposera seront définis par décrets.

Jojo44 : La fusion des instances représentatives du personnel (IRP) au sein d’un conseil social et économique s’imposera-t-elle de fait à toutes les entreprises ou est-ce qu’elle nécessitera de passer par un accord d’entreprise ?

La fusion des trois IRP s’imposera à toutes les entreprises qui disposaient auparavant de ces instances. Les syndicats avaient demandé que les syndicats puissent s’y opposer par la voie d’un accord majoritaire (supposant l’assentiment de syndicats représentant 50 % des salariés) mais le gouvernement a refusé.

Mumu : Quelle est la date d’application de ces ordonnances ?

Les ordonnances seront adoptées par le conseil des ministres du 22 septembre et entreront donc en vigueur fin septembre. Il faudra ensuite le vote d’une loi de validation de ces ordonnances.

Olive : Cette réforme marque-t-elle la fin du « syndicalisme à papa », le pragmatisme au détriment de l’affrontement direct ?

Je ne sais pas bien ce que vous appelez le « syndicalisme à papa » et je ne suis pas sûr que cette réforme change fondamentalement le visage du syndicalisme français qui est encore éloigné de la culture du compromis et même du consensus que l’on trouve en Allemagne. Mais en incitant les syndicats à négocier davantage dans les entreprises, cela peut être compris comme une invitation à avoir une approche plus pragmatique qu’idéologique. Toutefois aujourd’hui les syndicats négocient déjà beaucoup dans les entreprises (en moyenne 36 000 accords par an) et la CGT signe 85 % de ces accords.

MichaëlMi : Force ouvrière (FO) est-elle toujours satisfaite de la négociation ? Il me semble que les reculs du gouvernement par rapport à ses positions initiales sont faibles… Pouvez-vous récapituler les points sur lesquels le gouvernement a mis de l’eau dans son vin ?

FO est globalement satisfaite de la négociation car le gouvernement lui a fait tout de suite une concession majeure en préservant les prérogatives des branches professionnelles et en leur donnant le droit de « verrouiller » les accords conclus à ce niveau, empêchant dans ce cas les entreprises à y déroger. C’était aussi un changement par rapport aux intentions initiales d’Emmanuel Macron qui voulait jouer la carte du tout à l’entreprise. Plus généralement, la méthode choisie, celle de la concertation, en rupture avec la loi El Khomri où elle avait été absente, a été très appréciée par la quasi-totalité des syndicats. Le gouvernement a mis de l’eau dans son vin sur plusieurs points comme, par exemple, la barémisation des indemnités prud’homales – en acceptant un plancher et en donnant au juge le pouvoir de ne pas tenir compte du barème notamment en cas d’atteinte aux libertés fondamentales – et acceptant une hausse de 25 % des indemnités légales de licenciement. Par ailleurs, il a introduit un volet apportant des garanties pour les élus syndicaux, sur leur formation ou sur leur déroulement de carrière.

Frédéric : Ces ordonnances seront-elles applicables aussi bien au public qu’au privé ?

Ces ordonnances ne concernent que le secteur privé. Les fonctionnaires ont leur propre statut comme les agents de la SNCF ou d’EDF et ne sont donc pas concernés par le code du travail.