Le marché aux fruits de Gaddiannaram, près d’Hyderabad, en avril 2016. / NOAH SEELAM / AFP

On connaissait les tomates à l’éthylène, voici les mangues à l’hexanal. Deux fruits et deux substances pour atteindre un même but : la maîtrise du mûrissement. Découverts au début du XXe siècle, l’éthylène dans sa forme phytohormonale – c’est-à-dire d’hormone produite par une plante – et l’hexanal, un composé organique sécrété à l’état naturel par les végétaux blessés, ont fait depuis cinq ans l’objet de recherches aux résultats prometteurs. Mais si dans un cas, il s’agit de faire rougir plus vite les tomates, principalement en Europe, dans l’autre l’idée est au contraire de ralentir la coloration des mangues, en Inde.

Tout a commencé en 2009, quand, pour fêter son centenaire, l’université agricole du Tamil Nadu (TNAU) située à Coimbatore (sud) a investi dans un laboratoire consacré aux nanotechnologies, non loin de l’édifice d’origine de l’établissement, dont les façades rouge brique percées de longues colonnades font la fierté de la ville. « Nous nous sommes aussitôt attaqués au problème des mangues, dont l’Inde assure près de 70 % de la production mondiale, raconte le professeur Kizhaeral Sevathapandian Subramanian, afin de remédier à l’énorme gâchis constaté dans les campagnes. »

En Asie, une mangue sur trois finit à la poubelle en raison de son mauvais état. La récolte s’effectue bien souvent en secouant les arbres, ce qui abîme les fruits quand ils tombent. Les conditions de stockage sont rudes et le transport s’opère en général dans des sacs en nylon qui causent des blessures supplémentaires. « En Inde, ce sont 2 000 milliards de roupies qui sont ainsi perdues chaque année », assure le professeur Subramanian – l’équivalent de 27 milliards d’euros.

Bloquer le vieillissement

En 2012, la TNAU a signé un partenariat avec l’université de Guelph, au Canada. C’est là-bas que la connaissance de l’hexanal était alors la plus avancée, après que des scientifiques français furent parvenus à réaliser la synthèse de la molécule. « Nous savions que l’hexanal pouvait bloquer l’enzyme responsable du vieillissement de la peau des fruits, tout en créant une protection physique contre les agents pathogènes. Restait à savoir comment l’utiliser en vraie grandeur », indique Jayasankar Subramanian, professeur de biotechnologies à Guelph.

Pour le moment, l’hexanal est expérimenté sous forme liquide dans les plantations de manguiers du district de Krishnagiri. Il s’agit de l’une des premières régions productrices de l’Inde, où la sécheresse a fait des ravages ces deux dernières années. Durant la saison, qui ne dure que d’avril à juin, on voit s’aligner sur le bord des routes des tas bien ordonnés d’Alphonso, l’espèce la plus sucrée, de Banganapalli et de Bengalura, destinées à l’exportation, et de Tottapuri, commercialisée sous forme de pulpe.

Dans la commune de Sappanipatti, deux frères cultivateurs, Udhayakumar et Varadharajan, témoignent : ils se sont lancés dans la culture de la mangue « parce que le riz et la canne à sucre étaient trop gourmands en eau ». Pour la deuxième année consécutive, ils ont reçu de la TNAU des bidons contenant de l’EFF (« Enhanced Freshness Formulation »), une solution d’hexanal de synthèse à 2 % contenant, pour l’essentiel, de l’éthanol et du Tween 20, un produit dispersant fabriqué à partir d’acide oléique et de sorbitol. Tel est le moyen trouvé pour piéger la molécule d’hexanal, rétive à l’eau, dans une enveloppe hydrophile permettant la dilution, et pour limiter son extrême volatilité.

Feu vert des autorités

« L’EFF a été mis au point en 2013, indique Chellappan Sekar, le directeur du département de sciences sociales à l’institut de recherche de Tiruchirappalli. Nous avons d’abord organisé des formations dans près de trois mille fermes et depuis l’an dernier, nous sommes en phase expérimentale. »

Sur leurs 4 hectares de verger, Udhayakumar et Varadharajan pulvérisent les arbres un à un, jusqu’à ce qu’un liquide blanchâtre tombe de chaque mangue, goutte à goutte. « En 2016, cela nous a permis de maintenir les fruits sur l’arbre trois semaines de plus, et de les vendre en fin de saison, lorsque le marché était au plus haut », rapportent-ils.

A une quinzaine de kilomètres de là, dans le village de Santhur, deux autres agriculteurs, Santhakumar et Madhavan, ont eux aussi observé les effets positifs de l’hexanal. Leurs mangues, disent-ils, sont « plus grosses » et plus nombreuses à bien mûrir. Le rendement de leurs exploitations a augmenté de 10 % et après la cueillette, les fruits ont pu être conservés « de sept à dix jours de plus à température ambiante ».

Testé sur des cellules humaines, des vers de terre et des abeilles, l’EFF a reçu le feu vert de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et, en Inde, de l’Autorité de sécurité des aliments et du Bureau central des insecticides. L’Institut indien de toxicologie indique n’avoir effectué aucune recherche sur l’hexanal mais aux Etats-Unis, où la molécule est employée dans la fabrication des chewing-gums notamment, les autorités recommandent de prendre des précautions. L’hexanal est jugé « irritant pour les yeux, la peau et le système respiratoire ».

Au ministère américain de la santé, le Centre national d’information sur les biotechnologies précise que les vapeurs d’hexanal peuvent provoquer un « inconfort dû à l’odeur de solvant » et des « migraines ». En laboratoire, des rats sont même morts après une exposition prolongée en forte concentration.

A Coimbatore, on travaille maintenant à la mise au point d’une formule solide, sous forme de sachets de comprimés à fixer à l’intérieur des boîtes d’emballage des mangues. Mais aussi sous forme d’une fibre polymère, obtenue après exposition de l’hexanal à un champ magnétique – moyen inavoué de ne plus mettre les agriculteurs en danger dans leurs plantations.