Faut-il soigner sans état d’âme un élément de la secte djihadiste nigériane Boko Haram blessé au combat ? Le personnel soignant doit-il en référer, avant de lui prodiguer des soins, à l’autorité administrative ou militaire ? Peut-on demander à un médecin ou à un infirmier de dénoncer aux forces de l’ordre tout patient soupçonné d’appartenir à Boko Haram ?

Abordées dans le confort d’Abuja, N’Djamena, Niamey, Yaoundé ou Paris, ces interrogations paraissent purement théoriques, voire philosophiques. Et pourtant, au sud-est du Nigeria, à l’est du Niger, au nord Cameroun et dans le lit du lac Tchad, elles troublent la conscience des agents de santé, déchirent leur sommeil. Tant ils sont écartelés entre, d’une part, le serment d’Hippocrate, qui leur prescrit de préserver « l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de leur mission » et, d’autre part, les pressions sécuritaires qui peuvent les conduire en prison.

« Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. (…) Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences. Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera », affirme un passage du serment que doit prêter chaque jeune médecin avant de revêtir la blouse blanche.

Méfiance et protection

Faute d’avoir pu concilier le respect de cette disposition éthique et les réalités du terrain, des médecins, des infirmiers et d’autres membres du personnel soignant de la zone d’activités de Boko Haram ont dû démissionner au Cameroun, au Niger, au Nigeria et au Tchad.

Dans la plupart des cas, ce geste de désespoir a été posé sans aucune perspective de reconversion professionnelle. Le resserrement des deux mâchoires de l’étau que sont Boko Haram et les forces régulières était tout simplement devenu insupportable. Plus chanceux, d’autres membres du personnel soignant ont, quant à eux, utilisé leurs relations dans les sphères du pouvoir pour obtenir des affectations loin de l’épicentre des activités de Boko Haram. Ils ne sont pas pour autant tirés d’affaires. Car ils auront sur la conscience d’avoir renoncé à la mission de soigner, à leur vocation.

Mais la lutte contre Boko Haram a également entraîné des bouleversements dans la culture du soin. Désormais, les hôpitaux sont devenus des bunkers, on n’y entre plus sans une fouille au corps. A l’intérieur, des gardes armés se promènent pour protéger les patients et le personnel soignant. Pour la secte djihadiste, les structures de soins sont également devenues cibles ordinaires. Et pour ne rien arranger à la situation, le personnel hospitalier se méfie désormais de ses patients. Des éléments de Boko Haram peuvent en effet s’infiltrer parmi les malades et tenter de commettre des attentats-suicides.

A Kolofata (Cameroun), Bosso (Niger), Malam Fatori (Nigeria) et Bol (Tchad), la lutte contre Boko Haram est aussi un enjeu d’éthique médicale.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur, notamment, de Niger : la junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011), L’Harmattan, Paris, 2013.