Theresa May et Shinzo Abe, à Kyoto, le 30 août. / KIM KYUNG-HOON / REUTERS

Le Royaume-Uni vit un dur retour à la réalité du Brexit en cette fin d’été. Presque en simultané, jeudi 31 août, David Davis, le ministre du Brexit, à Bruxelles, et Theresa May, en déplacement au Japon, ont dû revenir presque bredouilles de leur déplacement. Si aucun des deux n’a essuyé un échec complet, et si des accords restent possibles à terme, le processus sera long et tortueux.

A Bruxelles, après quatre jours d’intenses négociations sur l’organisation de la sortie de l’UE entre les équipes de M. Davis et de son homologue européen Michel Barnier – dans le cadre d’un troisième cycle de discussions –, les progrès paraissent extrêmement limités. « Nous n’avons enregistré aucune avancée sur les sujets décisifs », a déploré le Français. « Au rythme actuel, nous sommes très loin de constater des progrès suffisants pour recommander aux Etats membres de passer à la deuxième phase des discussions [celle des relations futures entre Londres et Bruxelles] », a-t-il ajouté.

Pour l’instant, les Européens s’en tiennent à leur calendrier, exigeant au préalable la résolution du divorce. Avec trois sujets prioritaires : le sort de leurs ressortissants au Royaume-Uni, la question de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, et la facture du divorce.

Reconnaissance des diplômes

Sur les deux premiers points, les experts des deux parties ont quand même un peu avancé à Bruxelles. Ils ont ainsi exploré la possibilité de maintenir une reconnaissance mutuelle des diplômes entre l’UE et le Royaume-Uni, ou de prolonger l’accès aux couvertures maladie des citoyens. Londres a aussi rassuré les Européens en leur garantissant que l’actuelle zone de libre circulation entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande serait préservée.

En revanche, la question de la facture continue de bloquer. M. Barnier s’est montré très explicite jeudi : « Les Britanniques disent qu’ils ne veulent pas payer plus qu’ils ne doivent au budget de l’Union avant le jour du Brexit (…), mais les contribuables des 27 [pays restant dans l’Union] ne doivent pas payer pour les obligations prises à 28, ce ne serait pas juste. »

Londres a certes reconnu, dès juillet, qu’il devrait laisser un chèque à Bruxelles avant de claquer la porte. Mais la méthode de calcul fait débat. Suivant les scénarios, la facture finale pourrait osciller entre 25 et 65 milliards d’euros, selon le think tank Bruegel. L’affaire tourne à une bataille de juristes, pour définir exactement ce que le Royaume-Uni doit légalement à l’UE. « Nous avons une approche légale très différente », reconnaît M. Davis. Bruxelles craint que Londres veuille réduire le chèque en mêlant dans le calcul le prix de ses engagements passés et le coût du statut temporaire spécial qu’elle compte obtenir entre le Brexit et la conclusion d’un nouvel accord de libre-échange avec l’UE.

D’un accord sur la facture dépend la suite des négociations. Londres espère passer aux discussions sur le futur accord de libre-échange dès le prochain sommet européen, en octobre. « Nous pensons que nous devrions commencer les négociations sur l’accord final parce que c’est bon pour les entreprises et la prospérité du peuple britannique et du reste de l’UE », a estimé le secrétaire d’Etat britannique au commerce international, Liam Fox, en menaçant : « Nous ne pouvons pas faire l’objet de chantage. » En l’état actuel des choses, ce calendrier semble pourtant trop serré, repoussant l’échéance au mieux à décembre.

« Copier-coller »

Parallèlement, à Tokyo, la première ministre britannique concluait un déplacement en demi-teinte. Initialement, elle espérait entamer des négociations sur un futur partenariat commercial. Elle ne fait que sauver la face, en obtenant du Japon la promesse formelle de travailler à un accord après le Brexit… mais en s’alignant sur ce qu’il est en train de mettre en place avec l’UE. En juillet, Bruxelles et Tokyo ont annoncé en fanfare un accord de principe pour un traité commercial d’une portée considérable.

Pour les Japonais, le marché européen, bien plus gros que celui des Britanniques, est prioritaire. Pas question d’entamer des discussions parallèles avec Londres avant d’avoir réglé tous les détails avec Bruxelles. Et surtout, pas question de se mettre au travail avec Londres, de commencer à discuter quotas de viande de bœuf ou de cheddar, sans savoir quel type de relations le pays entretiendra avec le reste de l’Union à la suite du Brexit. Les Japonais se disent au mieux prêts à discuter avec le Royaume-Uni sur la base de l’accord négocié avec Bruxelles : c’est-à-dire que les Britanniques n’obtiendront vraisemblablement pas de meilleures conditions pour leurs exportations que celles accordées aux Vingt-Huit.

Mme May a dû le reconnaître jeudi : les futures négociations commerciales avec Tokyo se feront « sur la base de l’accord final » entre l’UE et le Japon. « Les partisans du Brexit comme Boris Johnson nous disaient que le Royaume-Uni devait quitter l’UE pour signer de meilleurs accords commerciaux, mais il s’avère que le gouvernement vise au mieux un copier-coller de ce que nous avons déjà via l’UE », accuse Ben Bradshaw, un député travailliste.