Détail de « Promesse #3 », dessin inspiré de photos de presse. / Courtesy de l'artiste et Galerie Anne-Sarah Bénichou

A 37 ans, Massinissa Selmani a toujours dans la voix une timidité mâtinée de doute. Comme s’il n’en revenait pas d’être sollicité. Bien que plébiscité en 2015 à la Biennale de Venise, où il décroche une mention spéciale du jury, et à la Biennale de Lyon la même année, le jeune Kabyle n’a pas la grosse tête. Ni les dents longues. Pour sa première exposition personnelle à Paris, il a préféré aux enseignes les plus puissantes une jeune galeriste, Anne-Sarah Bénichou, prometteuse comme lui. « J’aime l’idée qu’on grandisse ensemble, confie-t-il. Après Venise, ça m’effrayait d’atterrir dans une grosse galerie, de ne pas suivre la cadence, d’être écrasé. J’ai un rythme de travail plus long, j’ai besoin de temps. »

« Je suis obsédé par l’idée de faire de l’art avec le minimum de moyens. » Massinissa Selmani

Le temps, voilà son maître mot. Pour tranquilliser ses parents, le jeune homme sage suit d’abord des études d’informatique, à Alger. Son diplôme en poche, il s’inscrit à 25 ans à l’école des beaux-arts de Tours. Plus âgé que la moyenne de ses condisciples, il est déboussolé. « Les trois premiers mois, j’étais perdu, raconte-t-il. Vous imaginez, voir une exposition de Daniel Buren alors que mes références s’arrêtaient au XIXe siècle ! Je pensais qu’un artiste c’était un peintre devant son chevalet. »

Très vite, il trouve toutefois son terrain de jeu : le dessin. « Je suis obsédé par l’idée de faire de l’art avec le minimum de moyens », dit-il. Son trait est à son image, gracile et modeste. Massinissa Selmani est un virtuose qui refuse les effets de manche. L’artiste s’inspire de détails extraits de photos de presse qu’il recompose en d’absurdes combinaisons : un ventilateur jouxtant un homme qui harangue une foule invisible (Promesse #3) ; des Butagaz posés çà et là tandis que des gosses escaladent une barrière ; un guépard échappé d’on ne sait quel zoo. Le contexte, toujours hors champ, est souvent tragique.

Depuis la Biennale de Venise, en 2015, Massinissa Selmani est sollicité de toutes parts. / Massinissa Selmani

« On ne m’invite pas pour ma nationalité »

Le drame, Massinissa Selmani l’a côtoyé pendant les années de plomb en Algérie. « A Tizi Ouzou, on voyait les bombardements de l’armée, mais la vie continuait le plus normalement du monde en bas de l’immeuble, raconte-t-il. Les gens ont toujours pratiqué l’humour comme mécanisme de défense. » Pour autant, à l’inverse de certains autres artistes du Maghreb, il n’a pas fait de ses origines un thème précis. « Mon œuvre n’est pas référencée “Afrique du Nord”, dit-il. La nature de mon travail me protège de ça. On ne m’invite pas pour ma nationalité. »

Et, depuis Venise, les invitations se sont enchaînées. En 2016, il jouit d’un « solo show » à la Foire de Bâle, saint des saints du marché de l’art. La même année, il décroche le prix SAM Art Projects, qui donnera lieu à une exposition en février 2018 au Palais de Tokyo, à Paris. « Je digère tout juste maintenant, souffle-t-il. Les premiers temps, c’était étrange, ma boîte e-mail explosait. Il faut filtrer ce qui est sérieux, ce qui ne l’est pas. » Et surtout ne pas se répéter. La hantise absolue pour ce jeune homme tout sauf pressé.

« Les choses que vous faites m’entourent », Massinissa Selmani, du 2 septembre au 22 octobre, Galerie Anne-Sarah Bénichou, 45, rue Chapon, Paris 3e. www.annesarahbenichou.com