L’atmosphère un peu poisseuse qui règne ces jours-ci sur le Lido convient parfaitement à la suite des opérations cinématographiques vénitiennes inaugurées mercredi 30 août au soir, telle que la figure, jeudi 31, The Shape of Water, de Guillermo del Toro. Représentant inspiré, cruel et délicat du fantastique contemporain (L’Echine du diable, Blade 2, Le Labyrinthe de Pan, Hellboy), ce Mexicain de 52 ans, qui pointe à l’usine hollywoodienne, a imaginé, en effet, de plonger son nouveau film dans le milieu semi-aquatique d’un laboratoire de recherche ultra-secret de l’armée américaine, d’où émerge un monstre propre à nous séduire. Ce monstre, nous le connaissons, il descend d’une des figures légendaires de la série B américaine, sorti, en même temps que des studios Universal qui cultivaient le genre, de l’imagination du génial Jack Arnold sous le nom de L’Etrange Créature du lac noir (1954).

The Shape of Water | Official Trailer | FOX Searchlight
Durée : 02:31

Etrange et saisissante coïncidence que les deux premiers films américains de la compétition renvoient ainsi à la science-fiction des années 1950, et plus précisément à Arnold, dont Alexander Payne paraissait citer la veille, dans Downsizing, un autre titre mythique, L’Homme qui rétrécit.

Rappelons, en un mot, la poésie absolue de l’étrange créature produite par Arnold : un monstre découvert par une expédition en Amazonie, mi-homme, mi-poisson, sauvage et tendre à la fois, qui noue une relation privilégiée avec l’une des femmes de l’expédition, sous le regard de deux scientifiques qui se déchirent à son sujet. Quel amateur de cinéma, dont la conscience s’est notamment forgée à la vision de ce type de films, pourra jamais oublier le choc érotique de la scène où la pulpeuse naïade, toute nacrée de blanc, danse un ballet aquatique avec la bête devenue à ce point enviable ?

Goût du monstrueux

Visiblement pas Guillermo del Toro, dont on connaît le goût de l’incongruité et du monstrueux. S’agissant de l’amphibien, il n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai, puisqu’il l’avait déjà ressuscité en second couteau dans Hellboy sous le nom d’Abe, fidèle à la bande dessinée de Mike Magnola. Il y revient dans The Shape of Water en lui confiant le rôle principal (toujours animé par Doug Jones sous le latex aux veines bleues phosphorescentes) d’une histoire à la fois fidèle à l’esprit d’Arnold mais transfigurée.

Sally Hawkins dans « The Shape of Water », de Guillermo del Toro. / 20TH CENTURY FOX

En pleine guerre froide, au début des années 1960, prisonnière d’un scientifique américain « alt-right » en diable (Michael Shannon, terrifiant) mais protégée par un gentil espion soviétique introduit dans la place, la créature noue une relation passionnée avec une femme de ménage latino et muette (l’actrice anglaise Sally Hawkins, vue chez Mike Leigh et Woody Allen) qui le lui rend bien. Baroque, n’est-il pas ? Et tellement outrageant pour l’administration Trump. Il faudra toutefois patienter jusqu’au 17 janvier 2018 pour admirer le travail dans les salles françaises.

Sur le Web : www.labiennale.org et www.foxsearchlight.com/theshapeofwater