INFOGRAPHIE LE MONDE

Comme un air de déjà-vu. Fin juin, la dette des ménages américains a culminé à 12 840 milliards de dollars (10 820 milliards d’euros), selon les données publiées mi-août par la Réserve fédérale de New York. C’est plus que le sommet (12 680 milliards de dollars) atteint au troisième trimestre 2008. C’était au tout début de la crise financière née, aux Etats-Unis, de l’excès de crédits immobiliers contractés par des foyers peu aisés. Le scénario du pire va-t-il se reproduire ? Comment l’éviter ?

Une note publiée vendredi 1er septembre par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) apporte un nouvel éclairage sur le sujet. Les économistes Jérôme Héricourt, professeur à l’université Lille I, Rémi Bazillier de l’université Paris I et Samuel Ligonnière, doctorant à Lille I, y présentent les résultats d’une étude où ils ont passé au crible l’évolution du crédit et des inégalités dans 44 pays entre 1970 et 2012.

Leur point de départ est le suivant : ces dernières décennies, les Etats-Unis et de nombreuses économies développées ont connu à la fois une forte hausse des inégalités de revenus et un boom du crédit aux ménages. « Toute la question est de savoir si les deux phénomènes sont liés, et la réponse est moins évidente qu’il n’y paraît », explique M. Héricourt.

Déréglementation financière

Et pour cause : l’explosion de la dette depuis les années 1980 est en partie le fruit de la déréglementation financière et du poids considérable qu’a pris le secteur dans nos économies. La hausse des salaires des traders des banques et fonds d’investissement a en outre contribué au creusement des écarts de revenus. De même, rappelle l’étude, il est désormais établi que la flexibilisation des marchés du travail a contribué à la hausse des inégalités. Le Royaume-Uni en est un exemple flagrant : plus d’un million de Britanniques sont aujourd’hui sous « contrat zéro heure », ces emplois ultra-précaires n’offrant ni garantie horaire ni salaire minimum.

Autant dire qu’il est difficile de mesurer avec précision dans quelle mesure l’augmentation des inégalités a gonflé l’endettement des ménages à elle seule (et vice versa), c’est-à-dire indépendamment de toute évolution réglementaire. En épluchant et en compilant les données des pays concernés sur quarante ans, les économistes y sont tout de même parvenus.

Leur travail confirme d’abord que le creusement des écarts de revenus contribue bien à l’augmentation des emprunts des ménages. Ils ont même réussi à le chiffrer : « La hausse des inégalités a fait grimper la part de ces crédits dans le produit intérieur brut [PIB] de 19 % aux Etats-Unis entre 1980 et 2010, de 22 % en France entre 1995 et 2011, et de 30 % au Royaume-Uni entre 1970 et 2011 », détaillent-ils.

S’endetter pour maintenir son niveau de vie

Leurs recherches montrent également que c’est surtout l’appauvrissement des classes moyennes qui fait le plus bondir l’endettement. Ainsi, dans les pays industrialisés, la baisse de 1 % de la part des revenus totaux détenus par les classes moyennes fait augmenter de 12,6 % la part des crédits aux ménages dans le PIB, contre 3,3 % pour les classes populaires.

Comment l’expliquer ? « Pour maintenir leur niveau de vie et leur pouvoir d’achat lorsque leurs revenus baissent, les foyers de classes moyennes compensent en contractant des emprunts », analyse M. Héricourt. C’est ce qu’ont avancé des économistes tels que le Prix Nobel Joseph Stiglitz (2001), afin d’expliquer la crise financière de 2008.

Plusieurs chercheurs ont par ailleurs démontré que, par un phénomène de « mimétisme » lié aux habitudes d’achat et à la pression des normes sociales, les groupes sociaux ont tendance à reproduire les habitudes de consommation du groupe supérieur. Conséquence : une hausse de la consommation des plus riches se traduit, par effet de cascade, par celle de l’ensemble de la population… Sauf que les ménages moins aisés, dont les salaires ne suivent pas, le font en contractant des crédits.

Au reste, lorsque leurs revenus augmentent, les 1 % les plus riches ont également tendance à mettre plus d’argent de côté. Ce surplus d’épargne est ensuite, par le circuit des banques ou des marchés financiers, recyclé… en crédit, offert aux ménages de la classe moyenne.

« Ces résultats pointent le rôle pervers que joue l’accroissement des inégalités vis-à-vis de la stabilité financière : en alimentant le gonflement du crédit, il accroît les risques de bulles et de crises qui s’ensuivent souvent, concluent les économistes. Une raison de plus, s’il en était besoin, pour faire de la réduction des inégalités un objectif majeur des politiques publiques. » Avec pour priorité, la lutte contre l’appauvrissement des classes moyennes.