Le chef de l’opposition Kem Sokha le 28 mai 2017 durant une interview au Cambodge. / Pring Samrang / REUTERS

Accusé de trahison, le leader de l’opposition cambodgienne, Kem Sokha, a été arrêté tôt dimanche 3 septembre. C’est ce qu’a annoncé le gouvernement du Premier ministre Hun Sen, soupçonné de vouloir se débarrasser de ses opposants avant les élections de 2018.

Sa détention provisoire va faire monter d’un cran la tension dans ce pays d’Asie du Sud-Est d’autant plus que, quelques heures plus tard, l’un des derniers journaux indépendants du pays annonçait sa fermeture contrainte due au harcèlement du pouvoir.

« Derrière Kem Sokha, (…) la main de l’Amérique »

Le gouvernement a évoqué dans un communiqué une « conspiration secrète, entre Kem Sokha, son groupe et des étrangers, faisant du tort au Cambodge ». « Derrière Kem Sokha, c’est toujours la même main, celle de l’Amérique », a martelé Hun Sen dimanche, parlant d’un complot pour « détruire le pays ». Il a par ailleurs menacé de dissoudre le parti d’opposition « si celui-ci tente de soutenir » son chef.

La fille de Kem Sokha a indiqué sur Twitter que son père était détenu au secret dans une prison à la frontière vietnamienne. Agé de 64 ans, Kem Sokha, à la tête du « Cambodge National Rescue Party » (CNRP), est le chef du principal parti d’opposition dont l’autre dirigeant est actuellement en exil en France pour échapper à plusieurs condamnations.

L’interpellation a eu lieu quelques heures seulement après la publication sur Fresh News, site Internet pro gouvernement, d’un article accusant Kem Sokha de discuter du renversement de Hun Sen avec le soutien des Etats-Unis. L’article était basé sur un discours prononcé en 2013 en Australie lors duquel il avait évoqué des voyages à l’étranger et notamment aux Etats-Unis pour discuter de son travail d’opposition. Dans ce discours, il avait affirmé que les Etats-Unis le « conseillaient pour changer la dictature au Cambodge ».

Hun Sen menace d’une « guerre civile » si son parti perdait le pouvoir aux prochaines élections

A 65 ans, Hun Sen, homme fort du Cambodge depuis 32 ans, est déterminé à rester au pouvoir. Et il poursuit son offensive pour briser la popularité croissante du principal parti d’opposition, le Cambodge National Rescue Party (CNRP), qui a réalisé une percée remarquée aux élections municipales de juin. Ex-combattant Khmer rouge et Premier ministre depuis 1985, Hun Sen est un habitué des déclarations fracassantes et des menaces. Il a récemment prévenu qu’il y aurait « la guerre civile » si son parti - le Parti du peuple cambodgien (CPP) - perdait le pouvoir aux prochaines élections.

Ces derniers mois, Hun Sen a également multiplié les attaques contre la presse et notamment le Cambodia Daily, qui s’est fait remarquer pour des enquêtes sur le népotisme du régime. Après des mois de pressions, le titre a annoncé dimanche que l’édition de lundi serait la dernière car il ne peut pas régler les arriérés d’impôts de 6,3 millions de dollars que lui a soudain réclamé le pouvoir.

« Une journée sombre pour la liberté de la presse au Cambodge »

« Après 24 ans, un mois et 15 jours, le gouvernement cambodgien a détruit The Cambodia Daily, qui représentait une branche spéciale et singulière de la presse libre au Cambodge », a déclaré le journal dans un communiqué, estimant que les demandes du gouvernement étaient sans fondement. « C’est une journée sombre pour la liberté de la presse au Cambodge », a estimé auprès de l’AFP la rédactrice en chef Jodie DeJonge. Pour Kingsley Abbott de la Commission internationale de juristes (CIJ), cette fermeture met en lumière « la détérioration rapide des droits de l’Homme dans le pays ».

D’autres médias sont menacés par la vague de répression lancée par le Premier ministre. Des mesures fiscales ont également été annoncées par le gouvernement contre Radio Free Asia et Voice of America financées par les États-Unis, qui affirment de leurs côtés respecter les lois locales.

Ces dernières années, le Cambodge est devenu l’une des économies les plus performantes d’Asie du Sud-Est. Mais la colère monte parmi la population et surtout les jeunes, lassés de la corruption et de l’accaparement des richesses par une élite, proche d’Hun Sen. Ce dernier, qui compte parmi les plus anciens dirigeants au monde, se dépeint comme la seule personne qui peut apporter la stabilité et la prospérité dans un pays toujours marqué par la guerre civile et le génocide perpétré par les Khmers rouges.