A Houston, les autorités fédérales ont décidé d’ouvrir les vannes et de déverser le trop plein dans la rivière Buffalo Bayou (photo), qui traverse la ville. / Karen Warren / AP

Alors que dans certains quartiers inondés de Houston, l’eau a disparu et le nettoyage est déjà en cours, dans d’autres, au contraire, le désastre s’éternise, et va en s’aggravant. Ainsi, une grande partie du district de Memorial, zone résidentielle de l’ouest de la ville, est toujours sous les eaux. Dans un premier temps, lors des pluies torrentielles de l’ouragan Harvey, le quartier avait été assez peu touché. Mais depuis le 31 août, il est envahi par l’eau venue de deux grands bassins de retenue, Barker et Addicks, situés à l’ouest de Houston, qui se sont mis à déborder de tous les côtés.

Pour éviter une érosion accélérée ou même une rupture des barrages (il s’agit en fait de talus en terre battue, hauts d’une dizaine de mètres et longs de près de 20 km), les autorités fédérales ont décidé d’ouvrir les vannes et de déverser le trop plein dans la rivière Buffalo Bayou, qui traverse la ville. Très vite, le cours d’eau a débordé, et inondé des zones jusque-là épargnées.

« J’ai plongé dans l’eau pour aller chercher une vieille dame (...). Aussitôt, je suis tombé malade »

En déferlant dans les rues de Memorial, l’eau a envahi les égouts, dont le contenu est remonté à la surface. Le quartier baigne désormais dans un liquide marron, putride et toxique dégageant une forte odeur nauséabonde. Pour traverser les rues inondées, les habitants les mieux équipés portent des salopettes de pêcheur en caoutchouc, mais d’autres pataugent en short, parfois pieds nus, et semblent compter sur leur bonne étoile pour ne pas attraper de maladies. Bryan Lees, sauveteur bénévole vivant dans un quartier voisin, a fait cette erreur : « J’ai plongé dans l’eau pour aller chercher une vieille dame qui refusait de quitter sa maison. Aussitôt, je suis tombé malade. On m’a donné des pilules et fait des piqûres, mais je me sens toujours faible, j’ai des nausées… »

Le 1er septembre, les autorités ont appelé les habitants à évacuer le quartier. La plupart ont obéi dans la précipitation, et sont allés passer la nuit chez des amis ou des parents dans des zones épargnées. A présent, ils souhaitent retourner chez eux, ne serait-ce que quelques minutes, afin de récupérer des objets utiles ou précieux, des médicaments, des papiers, de l’argent… Pour les transporter jusqu’à leur maison puis les ramener sur la terre ferme, la police est venue avec des barques en fer à fond plat équipées de moteurs hors-bord. Alignés sur un trottoir surélevé à la limite de la zone inondée, des dizaines d’habitants de tous âges font la queue sous le soleil brûlant. Ils savent qu’ils devront attendre plusieurs heures, mais ils restent calmes, bavardent, plaisantent, s’échangent des boissons et des sucreries.

Zone inondable

Malgré tout, l’anxiété est palpable. Susan et Ed Patterson, un couple de retraités aisés propriétaires d’une villa, se demandent dans quel état ils vont la retrouver. Susan espère pouvoir y rester un certain temps, afin de rassembler les objets qui lui sont chers, notamment ses bijoux et ses armes à feu. Mais ses proches, venus la soutenir, l’informent qu’elle disposera seulement de quelques minutes, car le shérif doit faire ses navettes le plus vite possible.

En plus de la police et des pompiers, visiblement débordés, des dizaines de sauveteurs bénévoles sont arrivés à Memorial avec des embarcations de toutes sortes : des bateaux puissants montés sur des remorques, des barques de pêche, des canoës gonflables. Parmi eux, Russell King, un sexagénaire visiblement las, tente de faire démarrer le moteur de sa barque pour emmener un ami dans sa maison inondée. Il est particulièrement attaché à ce quartier : « J’y habite, mais en plus, je suis architecte, c’est moi qui ai fait les plans de l’un des lotissements du quartier, il y a trente-cinq ans. » Fièrement, il explique qu’à l’époque, tout le monde savait que cette zone était inondable, et qu’en conséquence, il a conçu ses maisons en hauteur : « Au rez-de-chaussée, il y a uniquement des garages et des débarras qui ne craignent pas l’eau, tout le reste est surélevé. Dans ma maison, et dans toutes celles que j’ai construites ici, l’eau n’a pas atteint les pièces habitées. »

En revanche, les maisons plus récentes ont été construites de plain-pied par des promoteurs pressés, aidés par une législation très souple. Emily Liu, qui tient un restaurant chinois dans le quartier, a pu retourner chez elle grâce à un bateau mis à disposition par un groupe de familles chinoises : « Tout est complètement dévasté. Dans la cuisine, le frigo est couché sur le côté, je me demande comment ça a pu arriver. »

Patrouille citoyenne

Il y a aussi des bénévoles armés, venus défendre les habitants contre un danger mal défini, et sans doute inexistant. Quatre jeunes hommes à l’air farouche montent la garde, en tenant des fusils d’assaut − en fait, ce sont des fusils ordinaires, non automatiques, mais conçus pour ressembler à des armes de guerre. Ils portent la casquette rouge chère à Donald Trump, ornée du fameux slogan « Make America Great again », des t-shirts à la gloire du Texas, des pantalons camouflage… Leur chef, Joshua Hall, un trentenaire fortement tatoué, est le patron d’une petite société de gardiennage et de surveillance électronique : « Je viens de créer une association que j’ai baptisée Swift Rescue [sauvetage rapide]. Avec mes amis, je patrouille dans les zones sinistrées, à pied ou en bateau. »

Il affirme qu’il y a quelques jours, dans un autre quartier, il a repéré des pillards et les a mis en fuite, mais il reconnaît qu’à Memorial, tout est calme. Soudain, une jeune femme arrive en courant dans l’eau noirâtre et en criant : « Au feu ! » Essoufflée, elle explique aux sauveteurs incrédules qu’une épaisse fumée s’échappe d’une maison inondée dans une rue adjacente… Peu après, un camion de pompiers arrive à toute vitesse, s’arrête devant le boulevard inondé et repart dans l’autre sens, à la recherche d’un passage plus praticable. Pour les bénévoles en bateau, l’incident est clos.

Samedi 2 septembre, le président Trump est venu passer quelques heures à Houston, pour réconforter des victimes, féliciter des sauveteurs et faire un discours. A Memorial, l’événement est passé inaperçu. Le même jour, les autorités ont annoncé qu’elles allaient devoir continuer à déverser l’eau des bassins Addicks et Barker dans la rivière pendant au moins deux semaines. Ici, la décrue n’est pas pour demain.