Des musulmans fuyant la Birmanie pour le Bangladesh, le 3 septembre 2017. / Bernat Armangue / AP

Ce qui se joue en ce moment à huis clos dans l’ouest de la Birmanie est peut-être en train de battre des records dans la pourtant longue et tragique histoire des Rohingya, cette minorité musulmane vivant dans des cantons situés sur la frontière du Bangladesh. Depuis l’attaque menée le 25 août contre une vingtaine de postes de police birmans par des Rohingya armés de machettes, de poignards et de fusils, le nombre de réfugiés parvenus à s’enfuir au Bangladesh en traversant la rivière séparant les deux pays a grossi dans des proportions jamais vues.

Même si les gardes-frontières bangladais ont bien essayé de repousser certains fuyards, beaucoup ferment les yeux et, et, selon le chiffre donné, lundi 4 septembre, par le bureau de coordination des ­Nations unies au Bangladesh, 87 000 musulmans, c’est-à-dire presque 10 % de l’ensemble de la population rohingya, sont désormais venus s’ajouter ces dernières semaines aux plusieurs centaines de milliers de leurs coreligionnaires arrivés par vagues au sud du Bangladesh depuis le début des années 1990.

Plus d’une centaine de milliers d’entre eux survivent déjà dans des camps de réfugiés côté birman, près de ­Sittwe, depuis les sanglantes émeutes de 2012 entre boud­dhistes et musulmans. Certaines sources de l’ONU estiment en outre qu’une vingtaine de milliers d’autres fuyards sont coincés dans un no man’s land sur la frontière, le long de la rivière Naf.

Maisons incendiées

La répression des forces de sécurité birmanes contre les combattants d’une organisation encore mal connue, l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA) – l’Arakan est l’ancien nom de l’actuel Etat Rakhine –, mais aussi contre la population civile, semble être une répétition de ce qui s’était passé en octobre 2016 quand des hommes armés avaient, pour la première fois, attaqué des postes-frontières birmans, faisant neuf morts chez ces derniers. Cette fois-ci, l’attaque du 25 août a fait plus d’une centaine de morts, dont une majorité d’assaillants.

Le bureau du chef de l’armée du Myanmar – nom actuel de la Birmanie – a indiqué que, dans les jours qui ont suivi l’attaque, « 400 personnes ont été tuées ». Selon le général Min Aung Hlaing, les corps de « 370 terroristes ont été retrouvés », tandis que 15 membres des forces de sécurité et 14 civils bouddhistes ont trouvé la mort.

Selon l’organisation de défense des droits Human Rights Watch (HRW), des photos par satellite montrent que, tout comme fin 2016, des centaines de maisons de villages musulmans ont été incendiées par des soldats et des policiers. Dans ces cantons où les non-musulmans sont en minorité, bouddhistes et hindous affirment également avoir fait les frais des attaques par les combattants rohingya.

Selon l’envoyé spécial de l’AFP dans le canton de Maungdaw, l’un des plus touchés, huit villageois de religion bouddhiste appartenant à l’ethnie Mro, qui vit aux abords des jungles de la région, ont été tués fin août par les guérilleros rohingya. Selon les militaires birmans, plus d’une cinquantaine d’attaques menées par ces derniers ont été comptabilisées.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a réagi la semaine dernière, s’estimant « préoccupé par les informations faisant état d’excès dans les opérations menées par les forces de sécurité du Myanmar dans l’Etat Rakhine ». Il a appelé ces dernières à faire preuve de « retenue » afin d’éviter une « catastrophe humanitaire ».

Les Rohingya ne sont pas reconnus comme citoyens. Ils ne peuvent ni envoyer leurs enfants à l’école ni se marier

Le Programme alimentaire mondial (PAM) a suspendu ses opérations dans les zones troublées, craignant notamment que ses employés ne soient l’objet de violences, comme cela a été le cas par le passé : les bouddhistes de l’Etat de l’Arakan, où ils sont majoritaires, voient d’un très mauvais œil le soutien apporté par les agences des Nations unies et les ONG étrangères aux Rohingya.

En dépit du fait qu’un responsable d’Al-Qaida au Yémen, Khaled Batarfi, a appelé en fin de semaine dernière les musulmans de la région à soutenir leurs « frères rohingya » contre les « ennemis de Dieu », rien n’indique pour le moment que le drame qui se joue en Birmanie est en train de prendre une connotation plus expressément religieuse. Même si l’ARSA serait téléguidée par un Rohingya du Pakistan qui aurait lui-même des accointances avec des religieux de la même ethnie en Arabie saoudite.

Mais, selon l’interview d’un porte-parole de la guérilla rohingya obtenue par un journaliste du site en ligne Asia Times, le combat de ces derniers serait centré sur l’objectif de faire valoir les droits de cette minorité qui en est dépourvu : les Rohingya, que les autorités birmanes et la plupart des bouddhistes appellent « Bengalis » en raison de leur origine – ils parlent un dialecte du sud du Bangladesh –, ne sont pas reconnus comme citoyens du Myanmar. Ils ne peuvent ni envoyer leurs enfants à l’école ni se marier. La plupart d’entre eux sont ainsi considérés comme des non-existants dans un pays où la plupart sont arrivés à la fin du XIXe siècle.

« Nous ne sommes pas des djihadistes », a insisté le porte-parole de l’ARSA, qui a dit s’appeler « Abdullah » lors de son interview à Asia Times. « Notre modus operandi, la façon dont nous conduisons nos opérations n’a rien à voir avec les objectifs de groupes djihadistes pakistanais ou autres. Nous sommes un groupe armé semblable à ceux d’autres ethnies minoritaires de Birmanie. » Au vu de la répression en cours, et en l’absence désormais totale d’observateurs indépendants, ce qui peut faire craindre le pire dans les cantons rohingya, on peut se demander jusqu’à quand ces musulmans de Birmanie continueront à refuser à céder aux appels du pied de l’internationale du djihad.