L’annonce de la création d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) par Emmanuel Macron a suscité de l’indifférence en Afrique : « Encore un instrument au service de l’impérialisme français », entendait-on. Dans un premier temps, cette réaction a aussi été la mienne. En réalité, la mise en place de cette structure illustre une évolution significative de la vision africaine de la France.

Traditionnellement, la diplomatie hexagonale était « institutionnalisée » : la France s’adressait exclusivement aux pouvoirs africains, perçus, à juste titre, comme les meilleurs garants des intérêts de la France. Cette approche contrastait par exemple avec celle des Etats-Unis qui, pour des raisons à la fois culturelles et stratégiques, ont toujours accordé une place au développement de liens avec les sociétés civiles africaines.

Mauvaise image de la France

La France a un peu « américanisé » sa diplomatie africaine : le programme Young Leaders de la fondation AfricaFrance, proche de l’Elysée, pâle copie, car élitiste et dépourvue de vision, du programme Young African Leaders Initiative mise en place par le président Obama, est malgré tout une tentative de tisser des liens avec la société civile africaine.

C’est que, pour le pouvoir français (et européen), à la faveur d’une « crise migratoire » qui menace jusqu’aux fondements de la démocratie libérale, la question des peuples africains est désormais incontournable. Mais la prise de conscience est en réalité plus ancienne : un rapport de la commission des affaires étrangères sur « la stabilité et le développement de l’Afrique francophone » présenté en 2015, après deux années d’enquête, alertait le pouvoir français sur la mauvaise image du pays au sein de la jeunesse du continent : « Sans doute, d’une manière générale, faut-il y voir aussi le fait que notre pays ne semble pas avoir tenu compte de l’évolution des sociétés africaines, de la montée de nouvelles aspirations de la part de la jeunesse, avec laquelle les gérontocraties au pouvoir ne sont plus en contact, si tant est qu’elles l’aient jamais été. Notre pays n’a pas su se distancier des classes dirigeantes qu’il a toujours soutenues et, surtout, ne s’est pas encore connecté avec les jeunes générations qui feront l’Afrique de demain. »

Prenant acte de la popularité des mouvements citoyens sur le continent, les auteurs du rapport notaient qu’une « masse critique est en train d’émerger en Afrique subsaharienne qui va exiger de profonds changements à court terme ». Et appelaient à un rééquilibrage de l’approche française : « C’est avec cette Afrique-là qu’il faut être en contact. Les élites de demain en font partie. Notre présence et notre influence sur le continent dépendent de la qualité de la relation que nous saurons dès à présent nouer. Pour autant, il ne s’agit évidemment pas de couper les liens avec les générations encore en place. »

Défiance

Et donc, lorsque le président Macron a présenté le CPA comme une « structure inédite tournée vers les attentes de nos jeunesses », il était sincère : la France cherche bien les moyens d’échapper à elle-même. Mais ses chances d’y arriver sont faibles, pour deux raisons : d’abord les « vieux pays » se réinventent difficilement ; ils meurent. Le soutien du président français à la zone franc (et donc aux régimes d’Afrique francophone, qui garantissent sa pérennité), dont il a réaffirmé « l’intérêt » à l’occasion de la visite du président ivoirien Alassane Ouattara à l’Elysée le 1er septembre, confirme l’improbabilité d’une révolution culturelle. Et fait passer du même coup cette timide tentative d’ouverture pour une banale une entreprise de faire du neuf avec du vieux.

Ensuite, un phénomène majeur se produit sur le continent : la politisation croissante d’une nouvelle génération d’Africains. Pour l’instant, cette politisation est désordonnée, inconséquente, immature, mais elle est indéniable. Plus préoccupante pour la France, elle se cristallise, en Afrique francophone, sur le thème de l’anti-France. Les fréquents soubresauts, encore récemment, autour de la question du franc CFA illustrent une volonté farouche de sortir du joug d’un pays perçu comme irrémédiablement hostile aux intérêts de l’Afrique. De la même manière, la popularité croissante du président Paul Kagamé en Afrique francophone témoigne, entre autres, d’un soutien à une forme de souverainisme qu’il incarne.

De ce point de vue, la création du CPA apparaît comme un contresens politique. Au vu de la défiance dont elle est l’objet, la France n’est pas en position de répondre aux attentes de la jeunesse africaine. Son illégitimité auprès de celle-ci lui interdit pareille ambition. L’enjeu immédiat pour elle est de sortir de ses contradictions (soutien actif des « gérontocraties au pouvoir » en Afrique francophone et main tendue à des peuples qui rejettent ces « classes dirigeantes »). Sans cela, l’accès au pouvoir de la génération anti-France pourrait bien lui être fatal.

Yann Gwet est un essayiste camerounais.