La réforme des rythmes scolaires répartit les vingt-quatre heures d’enseignement hebdomadaires sur neuf demi-journées. / XAVIER LEOTY / AFP

A la première réunion de la rentrée scolaire, en 2014, Isabelle H. reconnaît avoir « poussé un soupir un peu fort » au milieu des autres parents d’élèves. Un nouveau sigle – « comme si on en manquait à l’école », ironise cette mère de deux enfants – faisait son apparition dans sa famille et son organisation quotidienne : les NAP ou nouvelles activités périscolaires.

Trois ans plus tard, « plutôt faire une grève de la faim que de les voir supprimer », prévient cette infirmière de 42 ans, à l’heure où, pourtant, un tiers des communes françaises ont décidé de repasser à un rythme de quatre jours d’école par semaine. Et renoncer, de fait, à ces trois heures d’activités hebdomadaires.

« Un peu plus loin que le bout de leur nez »

C’est que dans sa commune de Billère (Pyrénées-Atlantique), 14 000 habitants, « c’est vite devenu une priorité, un choix politique », explique Jacques Cabanes, conseiller municipal (divers gauche). Instaurées par la réforme des rythmes scolaires, qui répartit les vingt-quatre heures d’enseignement hebdomadaires sur neuf demi-journées, ces activités périscolaires devaient permettre aux communes volontaires de proposer un temps privilégié pour développer d’autres types d’apprentissage à l’école. « Pour nous, c’était évident qu’il fallait les utiliser pour élargir l’horizon des enfants », note Jacques Cabanes.

L’équipe pédagogique décide d’en faire un espace « citoyen et solidaire », à travers un partenariat avec la ville de M’Baïk, en Centrafrique. Animateurs et associations déclinent pendant ces heures des ateliers liés à ce pays, à son histoire, mais aussi à « des thèmes comme la paix, le bien vivre ensemble, la citoyenneté, l’interculturalité », sous forme de textes, de vidéos, d’ateliers créatifs, etc.

« Aujourd’hui, j’ai l’impression que mes enfants voient un peu plus loin que le bout de leur nez », reprend Isabelle. Sur la table à manger familiale, du bœuf aux gombos a fait son apparition, du tissu wax est calé sous le pied de la machine à coudre et « ma cadette pose plein de questions sur le racisme ». « C’est exactement ce que j’attends du système scolaire : ouvrir des perspectives qu’une famille seule ne peut pas forcément faire », résume celle qui reconnaît que les NAP l’ont fait basculer en faveur de la réforme des rythmes scolaires.

Casse-tête budgétaire

A l’unisson, Esther M. dresse une liste qu’elle a bien du mal à conclure : slackline (une sorte de funambulisme extrême), compositions florales, échecs, chantournage sur bois… « Je n’aurais jamais les moyens d’offrir à mes enfants la possibilité de s’essayer à autant d’activités différentes », reconnaît cette mère de famille qui vit à Désaignes en Ardèche. Dans cette commune de plus de 1 000 habitants, où « tout semble si loin », c’est un vrai tour de force qui « a créé beaucoup de bonheur et de curiosité chez les enfants », témoigne cette mère. D’autant que la municipalité avait fait le choix de rendre ces activités gratuites – une décision laissée au bon vouloir des communes. Mais « il faut en parler au passé », déplore Esther. Comme beaucoup de petites communes, Désaignes a choisi de repasser à quatre jours d’école.

Avec la baisse des dotations publiques et la menace qui plane désormais sur les contrats aidés, l’équation s’avérait souvent beaucoup trop complexe pour les budgets des municipalités. Selon l’enquête de l’association des maires de France (AMF) menée en 2016, 70 % des collectivités rencontrent des « difficultés persistantes » dans la mise en œuvre des 4,5 jours.

Parents pauvres d’une réforme des rythmes scolaires mise en place à marche forcée, les NAP ont été instaurées de manière disparate sur le territoire. Souvent jugées trop chères et trop complexes à encadrer, beaucoup de collectivités ont choisi de les organiser a minima. Une situation d’autant plus problématique pour les petites écoles où il faut procéder à un regroupement de communes – les transports y sont un coût supplémentaire, et attirer des animateurs compétents, une gageure.

Comme la plupart des villages ruraux de l’Eure, il n’y avait aucune activité périscolaire dans la commune de François Lajonc, 47 ans, père de trois enfants. Sa famille devait « payer 2 euros par semaine et par enfant pour une sorte de grande récréation avec encadrement minimal », raconte celui qui dénonce une « réforme qui a encore creusé les inégalités entre communes urbaines et riches et communes pauvres et rurales ».

« Petits contrats précaires »

Car la question de l’encadrement de ces activités, mises en place dans la précipitation, s’est avérée le principal casse-tête des mairies. A Lamarque, dans le Médoc, deux petits contrats de quelques heures hebdomadaires ont été signés pour encadrer une activité de dessin et d’expression corporelle. Le reste – jeux de société et activités à l’extérieur aux beaux jours –, c’est Marie-France qui s’est portée volontaire pour l’animer bénévolement. Mais à 70 ans, elle reconnaît qu’elle « manquait d’énergie pour les matchs de foot ».

Même pour les municipalités ayant suffisamment de budget pour embaucher des animateurs, la situation a souvent été complexe. « La première année, on a réussi à attirer des professionnels », raconte un directeur d’école primaire d’un village des Bouches-du-Rhône, mais « ce n’était que des petits contrats précaires de quelques heures, payées au lance-pierre, donc ils s’en sont vite détournés ».

A la place, des « mères de famille rarement qualifiées, venues pour animer un atelier lecture ou dessin ». Beaucoup de parents d’élèves, déplorant la « pauvreté éducative dans une cohue permanente », avaient fini par retirer leurs enfants des NAP, regrette le directeur. Une situation « très éloignée de l’esprit de la réforme », reconnaît celui qui préfère garder l’anonymat pour « éviter un conflit ouvert avec la mairie » et déplore « une confiance brisée avec les familles ».

En termes d’emplois, les NAP n’ont pas été l’eldorado un temps promis. Pour Denis, professeur d’échecs, ces activités périscolaires représentaient 20 % de son activité, aujourd’hui « menacée ». Comme lui, ils étaient nombreux à compter sur ce « complément de revenus bienvenu dans un paysage associatif et culturel toujours plus bouché ».

Difficile pourtant de savoir combien d’emplois sont concernés, tant les NAP sont assurés par des profils variés : vacataires, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), auto-entrepreneurs, intermittents du spectacle, etc. Le Conseil national des employeurs d’avenir (CNEA), syndicat d’employeurs dans le champ de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport, estime ainsi que « 30 à 35 000 emplois pourraient être touchés », sans pouvoir préciser l’ampleur de cet impact, alors que des villes comme Nice, Toulon ou Calais ont choisi le retour aux quatre jours.

95 % de satisfaction des enfants

Faut-il pour autant abandonner complètement ces dispositifs au motif qu’ils ne peuvent être appliqués uniformément sur le territoire ?. « Dans un débat public confisqué par les politiciens, les mairies, les enseignants, les parents d’élèves, les médias, on en a oublié d’y voir l’intérêt de l’enfant », rappelle Gaëlle Espinosa, autrice avec Benoît Dejaiffe de deux rapports d’évaluation sur les nouvelles activités périscolaires à Nancy (Lorraine) et Bar-le-Duc (Meuse).

Chercheuse au laboratoire interuniversitaire de sciences de l’éducation de l’université de Lorraine, Gaëlle Espinosa a interrogé les élèves de ces écoles primaires pour en tirer leur point de vue sur ces TAP. « Ce qui est ressorti, c’est une satisfaction importante des enfants par rapport à ces activités », résume la chercheuse. Une observation réalisée aussi par le rapport sur la mise en place des projets éducatifs territoriaux (PEDT), qui, en 2016, affirmait que 95 % des enfants se disaient « heureux » de ces « nouveaux espaces éducatifs entre l’école et la famille, qui permettent l’échange, la collaboration, la découverte, l’expérimentation et le jeu ».

Mais comment affirmer une « réussite éducative » avec seulement trois années de recul et une telle disparité entre les territoires ? « Le débat se cristallise sur de faux arguments, comme la fatigue des enfants, reprend Gaëlle Espinosa. Pourtant, quand on prend le temps de les écouter, ils nous expliquent que cette fatigue s’explique par des couchers tardifs et une organisation familiale difficile, pas par des heures d’activités où ils s’amusent et interagissent. »

« Un pas vers l’égalité des chances »

Dans les conclusions de leur rapport sur les activités périscolaires de Nancy – « une ville qui a des moyens », souligne Gaëlle Espinosa –, les chercheurs mettent notamment en lumière les bienfaits de ces activités dans les écoles « défavorisées », notamment pour aider l’enfant à « la prise de conscience de ce qu’il fait et de ce qu’il apprend ». La chercheuse déplore ainsi « l’abandon d’une réforme qui faisait un pas vers l’égalité des chances ».

Un constat partagé par Hamza Afar, mère de deux enfants à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Si cette vendeuse de 32 ans reconnaît que « toutes les activités n’étaient pas forcément bien menées », elle rappelle que « le périscolaire est d’autant plus nécessaire dans les quartiers difficiles comme chez nous ». Dans sa commune, pourtant socialiste, la mairie a choisi le retour à quatre jours. Hamza le sait, elle aura les moyens d’inscrire ses garçons dans des clubs sportifs et culturels. « Mais les autres zoneront chez eux ou dans la rue, aux associations de quartier dans le meilleur des cas », résume celle qui aurait aimé « qu’on donne une chance à cette réforme, autant qu’à ces enfants ».