Le dernier essai nucléaire nord-coréen a beau faire rugir la communauté internationale, certains pays d’Afrique continuent malgré tout à commercer avec le régime ermite. Les échanges entre le continent africain et la Corée du Nord auraient atteint près de 200 millions d’euros en 2016.

Dans quelle ville peut-on trouver une avenue Kim Il-sung, l’ancien leader de Corée du Nord et grand-père de l’actuel dirigeant Kim Jung-un ? A Pyongyang bien sûr, mais aussi, plus surprenant, à Kampala. La guerre froide est terminée, mais pas sur le continent, où il reste quelques irréductibles à soutenir encore contre vents et marées – et pour quelques poignées de dollars – la dictature nord-coréenne.

La Corée du Nord s’est ainsi fait une spécialité dans la construction de monuments imposants et au goût parfois douteux sur le continent. La société Mansudae Overseas Project a érigé ses statues dans neuf pays d’Afrique, comme en Namibie, le Mémorial de l’indépendance ou, au Sénégal, le Monument de la renaissance africaine.

Mais les statues ne sont pas la seule source de revenus en Afrique de Pyongyang.

« Activités à caractère clandestin »

« Si certains pays comme le Zimbabwe ou l’Ouganda ont officiellement pris leur distance avec la Corée du Nord, Pyongyang a conservé des liens économiques et militaires avec plusieurs pays africains, nous confirme Samuel Ramani, spécialiste de la Corée du Nord à l’Université d’Oxford. C’est le cas, notamment, de la Namibie, où deux conglomérats militaires nord-coréens opèrent depuis 2016 ; du Nigeria, qui a conservé des accords de coopération avec Pyongyang ; de l’Angola, de la Guinée équatoriale, de l’Erythrée et de l’Ethiopie, où des comptes bancaires du gouvernement nord-coréens sont hébergés et servent à acheter des armes. »

Un rapport de l’ONU publié cette année confirme ces relations interdites entre de nombreux pays africains et la Corée du Nord.

Des relations qui concernent essentiellement la vente d’armes nord-coréennes que l’on a même retrouvées utilisées par des casques bleus en Centrafrique ! Un comble.

« Les enquêtes du groupe d’experts ont dévoilé l’existence par le passé d’un commerce d’armes et d’activités de coopération de la République populaire démocratique de Corée en Afrique, y compris des activités à caractère clandestin menées à grande échelle », souligne le rapport de 2017.

Onze pays africains sur cinquante-quatre ne respectent pas les mesures de sanctions votées par les Nations unies. « Pour beaucoup, il s’agit de pays en marge de la communauté internationale et qui ont besoin d’équipements militaires », précise Samuel Ramani.

Les enquêteurs de l’ONU tracent ainsi la livraison d’armes au régime de Joseph Kabila, notamment des pistolets automatiques pour la garde présidentielle. Le président congolais qui s’est pris d’affection pour la Corée du Nord à mesure que les pressions internationales pour qu’il quitte le pouvoir se faisaient plus pressantes. Ainsi, l’interception en août 2016 du Jie-Shun dans le canal de Suez. Ce navire nord-coréen transportait 30 000 rockets PG-7 à destination de RDC. Des armes cachées sous 2 300 tonnes de limonite, un amas d’hydroxydes de fer microcristallin, en violation des résolutions de l’ONU.

Autre exemple, en Angola, où la victoire aux dernières élections du MPLA au pouvoir depuis 1975 devrait faire sourire les généraux nord-coréens dont les instructeurs continuent de former les membres de la garde présidentielle aux arts martiaux.

En Namibie, le rapport de l’ONU révèle également la construction d’une usine d’armement et d’un centre de formation militaire par les entreprises nord-coréennes Mansudae Overseas project et Korea Mining Development Trading Corporation (KOMID). Les Etats-Unis considèrent KOMID comme l’un des principaux vendeurs d’armes de la Corée du Nord.

La couverture chinoise

Au total, les échanges commerciaux entre le continent africain et la Corée du Nord auraient atteint près de 200 millions d’euros en 2016. Pêche, minerais et surtout armements continuent ainsi d’alimenter en devises étrangères le fragile cordon ombilical qui permet à la Corée du Nord de survivre aux sanctions.

Les relations entre l’Afrique et la Corée du Nord sont restées constantes depuis les guerres d’indépendance des années 1960 et le soutien aux mouvements de libération procommunistes. Ce coup de pouce de Pyongyang à certains pays africains s’est mué au fil des années et des sanctions internationales en soutien discret de certains régimes africains à la Corée du Nord, lui permettant de contourner discrètement les sanctions de l’ONU sous un vernis commun : la lutte contre l’impérialisme occidental.

Sur ces pays, la Chine pourrait faire pression. Mais il y a peu de chance qu’elle ne se mêle directement de ces affaires africaines, d’autant qu’elle y est parfois elle-même impliquée.

L’Ambassade de Corée du Nord à Pékin aurait ainsi servi, selon l’ONU, à financer le transport de composants de missiles nord-coréens vers l’Egypte via l’entreprise chinoise BLH Global Cargo Co. Ltd. Le commerce Chine-Afrique est une bonne couverture aux trafics de Pyongyang sur le continent, comme le montre l’interception en 2016 d’une livraison d’armes chinoises et nord-coréennes à destination cette fois de l’Erythrée. L’ONU pointe ainsi le rôle d’entreprises chinoises qui servent de couverture pour le transport de ces cargaisons à destination de l’Afrique et de citer plusieurs entreprises de Pékin et Hongkong ayant pignon sur rue.

« La réticence chinoise à appliquer strictement les sanctions de l’ONU concernant la Corée du Nord est un chèque en blanc fait aux pays d’Afrique, selon l’universitaire Samuel Ramani. La Chine n’a pris aucune mesure pour faire pression sur ses partenaires africains, contrairement aux mesures punitives prises par exemple contre la Namibie par le Japon ou contre l’Egypte par les Etats-Unis. »

La Corée du Sud a également engagé un vaste programme pour bouter la Corée du Nord hors du continent à coup de promesses et de dollars.

« Pyongyang reste un partenaire très attractif pour certains pays d’Afrique malgré les sanctions de l’ONU. D’abord parce qu’elle vend des armes à n’importe qui et ensuite parce qu’elle assure la formation et le transfert de technologie. La Chine, la Russie et les Etats-Unis vendent des armes, mais ne permettent pas aux acheteurs de produire localement les munitions, par exemple, ou certains équipements. La Corée du Nord assure la vente, la formation et même la production locale. Le tout à des coûts très intéressants et loin des radars de la communauté internationale », conclut Samuel Ramani.