Le premier ministre Hun Sen, lors d’une visite d’entreprise, à Phnom Penh le 30 août. / Heng Sinith / AP

Editorial du « Monde ». Il y a quelque chose de particulièrement cruel dans ce qui arrive au Cambodge. Déjà l’un des plus pauvres du monde, ce petit pays, traumatisé par le génocide perpétré par les Khmers rouges, est chaque année davantage soumis au pouvoir d’un seul homme. Il aspirait à la démocratie. Il tourne à l’autocratie, comme le montre le coup de force perpétré cet été contre l’opposition.

Le premier ministre, Hun Sen, n’entend pas perdre le pouvoir qu’il occupe depuis trente-deux ans. A moins d’un an des élections, prévues en juillet 2018, il muselle les voix critiques et ne veut rien laisser au hasard. Il est vrai que cet ancien commandant du groupe totalitaire et génocidaire des Khmers rouges, aujourd’hui à la tête d’un Parti du peuple cambodgien (PPC) qui monopolise le pouvoir, n’a jamais été un parangon de démocratie.

En 2013, l’opposition avait boycotté l’ouverture de la législature pour protester contre un scrutin qu’elle jugeait truqué et qui avait permis au PPC une courte victoire. Hun Sen, déjà, lassait une partie de la population, notamment la jeunesse. Il craint cette fois que la nouvelle génération n’en vienne à choisir massivement l’alternance. Il a cherché l’apaisement avec l’opposition, mais cela n’a pas duré.

Une importante aide économique de la Chine

Kem Sokha, le chef de la principale formation d’opposition, a été arrêté avec ses gardes du corps à son domicile, dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 septembre. Le gouvernement lui reproche d’avoir dit, à la télévision, il y a quatre ans, qu’il recevait le soutien des Etats-Unis pour former une opposition démocratique. Le voilà accusé de trahison et d’espionnage. M. Kem a pris la tête du Parti du sauvetage national du Cambodge en mars, alors que le pouvoir s’apprêtait à interdire à un individu condamné de diriger une formation politique.

Au même moment, les autorités s’en prennent à la presse encore libre. Après vingt-quatre ans de bons et loyaux services, le journal Cambodia Daily a été contraint de fermer et a publié sa dernière édition lundi. Les nombreuses radios du pays qui retransmettent les programmes d’information en khmer de Radio Free Asia et de Voice of America, toutes deux financées par Washington, ont été suspendues quelques jours plus tôt.

Phnom Penh a beau jeu de dénoncer les leçons de morale de Washington. Le Cambodge ne se soucie guère des réactions américaines : il reçoit chaque année une importante aide économique de la Chine. La République populaire obtient, en retour, un alignement du Cambodge sur ses oppositions dans les domaines qui intéressent Pékin. C’est ainsi que le Cambodge est devenu l’un des plus gros obstacles à la formation d’un front uni des pays d’Asie du Sud-Est face aux revendications croissantes de Pékin en mer de Chine méridionale.

Ce soutien et la croissance économique rapide du pays (7 % en 2016) permettent à Hun Sen de s’affranchir des exigences de ses autres donateurs – qu’il s’agisse des Etats-Unis ou de la France. Les accords de Paris, qui, en 1991, mettaient le pays sur les rails de la démocratie, après quatre années de génocide par les Khmers rouges et une décennie d’occupation vietnamienne, ne sont plus qu’un « vulgaire bout de papier », regrette le leader d’opposition en exil, Sam Rainsy.

Le dernier titre qu’a pu se permettre le Cambodia Daily résumait parfaitement la dérive actuelle du royaume khmer. « Descente en pleine dictature », proclamait, lundi, sa manchette en forme de baroud d’honneur.