La Cour de justice de l’Union européenne, en janvier, à Luxembourg. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

Cet arrêt fera date : mercredi 6 septembre, la Cour de justice de l’Union européenne a réaffirmé le principe de la solidarité entre Européens face à l’accueil des réfugiés. La plus haute juridiction de l’UE a rejeté les recours de deux Etats membres, la Slovaquie et la Hongrie, contre un mécanisme adopté par le Conseil, qui prévoyait une « relocalisation » obligatoire de demandeurs d’asile arrivés en Grèce et Italie. Attendue depuis des mois, cette décision risque aussi de creuser un peu plus le fossé entre l’ouest et l’est du continent sur ce sujet.

Proposé par la Commission européenne, le programme de répartition des demandeurs d’asile depuis l’Italie et la Grèce a été adopté par l’Union à l’automne 2015, au plus fort de la crise migratoire, quand des centaines de milliers de Syriens empruntaient la « route des Balkans » via la Turquie, puis la Grèce, pour échapper à la guerre. Il prévoyait la « relocali­sation » de quelque 120 000 personnes en vingt-quatre mois, c’est-à-dire jusqu’au 26 septembre, afin d’affronter cette situation d’urgence et de soulager l’Italie et la Grèce, en première ligne. Au 1er septembre, 27 600 migrants seulement ont été accueillis.

À l’époque, la Hongrie et la Slovaquie avaient voté contre cette décision, adoptée à la majorité qualifiée au Conseil européen, tout comme la République tchèque et la Roumanie. Les deux premiers pays ont ensuite voulu défier Bruxelles en introduisant un recours auprès de la Cour de Luxembourg. Budapest et Bratislava invoquaient une adoption entachée d’erreurs de procédure et le fait que la relocalisation ne serait pas à même de répondre à la crise migratoire. Elle a de fait été improvisée pour répondre au seul problème d’une répartition plus équilibrée des réfugiés.

Victoire pour la Commission

Les arguments de la Hongrie et de la Slovaquie avaient été balayés le 26 juillet par l’avocat général Yves Bot. Il estimait que la procédure suivie était justifiée face à une situation d’urgence clairement identifiée et permettait d’alléger la pression sur les régimes d’asile grecs et italiens, totalement débordés. Certes, les mesures prévues se sont révélées peu efficaces, mais c’est notamment parce que des pays n’ont pas respecté leurs obligations de solidarité et de partage, relevait M. Bot.

À Bruxelles, l’arrêt de la Cour est interprété comme une victoire pour la Commission, qui n’a cessé de promouvoir la relocaliation au cours des deux dernières années. Il pourrait aussi avoir pour effet d’isoler un peu plus les pays du « groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), Varsovie en tête, qui jusqu’à présent, se sont opposés fermement aux « quotas » de réfugiés. Pour autant, l’arrêt conduira-t-il les dirigeants de ces pays à accepter, enfin, le principe de solidarité ? À Bruxelles, personne ne se fait d’illusions.

« Orban ne pourra pas atterrir »

« Politiquement, Orban est monté trop haut, il ne pourra pas atterrir », commente un diplomate européen, évoquant les critiques incessantes du premier ministre hongrois contre les « chantages » de Bruxelles et son discours anti-migrants. Les dirigeants polonais maintiennent, eux, que le plan ne fait que créer un « effet d’aspiration » pour les migrants.

L’arrêt des juges de Luxembourg ne clôt pas les contentieux juridiques entre Européens. En juillet, la Commission a envoyé à la Hongrie, à la Pologne et à la République tchèque un « avis motivé » concernant leur refus total de participer à la relocalisation. C’est la deuxième étape d’une « procédure d’infraction » ouverte à l’encontre de ces pays. Cette démarche de la Commission peut aboutir, ensuite, à une saisine de la Cour de justice et à des sanctions financières. Jusque-là, la Commission avait tenté d’éviter un conflit ouvert et prônait l’action « dans un esprit européen ». En vain : les Etats concernés refusent toute nouvelle discussion et semblent résolus à s’acquitter d’amendes éventuelles.

Dès 2016, la Commission a aussi mis sur la table une proposition de mécanisme permanent de relocalisation, en cas de crise aiguë, censé prendre le relais des 120 000 relocalisations provisoires. Le processus devait être complété par une « contribution de solidarité » de 250 000 euros imposée à un pays qui refuserait un réfugié. « Provocation ! », a-t-on commenté à l’est.

Ces discussions sont au point mort, les pays d’Europe centrale et orientale refusant de parler de quotas de réfugiés tant que l’Europe ne se sera pas barricadée à ses frontières extérieures. La Hongrie et ses alliés acceptent l’idée d’une aide humanitaire et logistique aux pays de première ligne, mais rien de plus, ce qui est jugé inacceptable par Rome ou Berlin. Au Parlement européen, pour tenter de débloquer les discussions, on a proposé de supprimer l’amende de 250 000 euros, mais de corréler la solidarité avec l’accès aux fonds structurels et d’investissement. De quoi énerver un peu plus certains dirigeants d’Europe centrale et orientale.

« La participation à la relocalisation est un engagement moral assorti d’une obligation juridique », insiste, quant à lui, le commissaire aux affaires intérieures et à la migration, Dimitris Avramopoulos. En juillet, il ajoutait : « L’UE n’assure pas seulement des financements et la sécurité, elle suppose l’équité, le partage des responsabilités et la solidarité ». Aux yeux de beaucoup, ce débat ultrasensible touche à l’essence même du projet européen et son objectif de solidarité. « Solidarité contre solidarité : le choix sera difficile », soupire un diplomate issu d’un pays fondateur. Pour mémoire, la Pologne reçoit 10 milliards par an de l’Union en fonds de cohésion et les fonds structurels et d’investissement représentent 3 % du produit intérieur brut de la Hongrie.