Des dizaines de milliers de manifestants défilaient, le 10 décembre 1995 à Caen, à l'appel de plusieurs organisations syndicales, pour le retrait du plan Juppé de réforme du système de prévoyance sociale. / MYCHELE DANIAU / AFP

Alain Juppé déclencha, en novembre 1995, le plus grand mouvement social depuis mai 1968 en ajoutant in extremis les régimes spéciaux de retraite à son projet de réforme de la Sécurité sociale. Après lui, les pouvoirs publics ont rivalisé de prudence dès qu’il a été question de toucher à ce dossier ultrasensible.

La réforme Fillon du 21 août 2003, qui organisa, entre autres, l’alignement progressif de la durée de cotisation des fonctionnaires (37,5 ans) sur celle des salariés du privé (40, puis 41 ans), ne s’appliquait pas aux régimes spéciaux d’entreprise (Banque de France, RATP, EDF-GDF etc.) Les principaux qui subsistent aujourd’hui sont ceux des industries électriques et gazières (IEG), de la SNCF, de la RATP et des clercs et employés de notaires.

Paix sociale cher payée

Au nom de l’équité entre le public et le privé, Nicolas Sarkozy s’engagea, lui, en 2007, dans leur réforme mais celle-ci ne fut finalement mise en œuvre qu’à partir du 1er juillet 2008. Entre-temps, la France avait connu son lot de manifestations et le conseiller social du président, Raymond Soubie, lui avait proposé, tout en affirmant le principe d’une convergence public-privé, d’en reporter l’application à l’horizon 2017-2018. De l’avis de la Cour des comptes, la paix sociale fut aussi cher payée : pour désamorcer les grèves, le gouvernement lâcha à la SNCF plusieurs milliards d’euros de mesures salariales de compensation et d’accompagnement…

En 2010, Eric Woerth releva de deux ans les âges de départ à la retraite et du taux plein à l’horizon 2018. Malgré un printemps social « chaud », la réforme fut votée et sa transposition aux régimes spéciaux décidée mais dans un calendrier différé. Ainsi faudra-t-il attendre 2024 pour que l’âge légal de la retraite (62 ans) et la durée d’assurance (168 trimestres) des sédentaires des régimes spéciaux soient alignés sur ceux de la fonction publique et du privé et évoluent à l’identique (172 trimestres pour la génération 1973). A cet horizon, sous réserve d’une durée minimale de service, les conducteurs de la SNCF pourront prendre leur retraite à 57 ans.

La réforme des régimes spéciaux, qui touche bien d’autres paramètres que l’âge, est donc possible mais ardue. La difficulté pour Emmanuel Macron sera de convaincre les cheminots de la nécessité de nouvelles mesures alors que celles de 2008 commencent tout juste à devenir pour eux une réalité tangible.