Le monde a appris l’existence du dernier essai nucléaire de la Corée du Nord – une bombe à hydrogène d’une puissance de 120 kilotonnes – quand il a été rapporté, dimanche 3 septembre, par les sites d’infos, radios ou télévisions internationaux. D’autres l’auront découvert via une vidéo YouTube à l’allure vintage, où une dame d’un certain âge, habillée de rose, s’époumonait en nord-coréen et semblait annoncer l’imminence de l’apocalypse nucléaire.

North Korean news reader Ri Chun Hee reports on missile launch_News Hashmi
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Sur KCTV, la seule chaîne de Corée du Nord, la présentatrice Ri Chun-hee était là, comme à presque chaque annonce militaire et politique du régime, pour encenser celui-ci et mettre en garde ses ennemis d’une voix tonitruante, tremblant parfois d’excitation. Sur la vidéo, dont des centaines de versions sous-titrées en de multiples langues existent, Ri Chun-hee célèbre le « succès parfait » de ce test et la bombe « d’une puissance sans précédent » qui a explosé. Une « occasion très importante », suivant la voie tracée pour « atteindre le but final qui est de parachever la force nucléaire de l’Etat ».

La présentatrice historique de KCTV est sortie de sa retraite pour annoncer aux Nord-Coréens, et aux autres, la détonation. Toujours avec sa robe traditionnelle aux couleurs vives, toujours avec les badges de Kim Il-sung et de Kim Jong-il en évidence.

Sa seule présence fait savoir aux observateurs de la péninsule toute l’importance que le régime accorde à cet essai, et à sa médiatisation. Ri Chun-hee est une des nombreuses courroies de transmission de la propagande nord-coréenne. A l’intérieur du pays, elle est la halmoni (grand-mère), que plusieurs générations ont vu glorifier à l’écran l’idéologie juche et menacer les ennemis. A l’étranger, elle est cette Nord-Coréenne un peu hors d’elle, à la voix belliqueuse, que l’on voit de temps en temps dans les médias et, plus récemment, dans les clips apparaissant dans nos flux.

En 1994, Ri Chun-hee était là, en noir et en pleurs, pour annoncer le décès de Kim Il-sung. Elle était là, sept ans plus tard, pour pleurer Kim Jong-il, son fils et successeur.

Official North Korea State TV Announcement of Death of Kim Jong Il
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Ou, quelques année plus tôt, pour le lancement d’un satellite.

Over-Enthusiastic North Korea TV Anchor Announces Rocket Launch
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Ce qui est dommage, quand ses vidéos ne sont pas sous-titrées, c’est qu’on passe à côté de la profusion lexicale de ses textes, qui se veulent aussi rassurants pour les Nord-Coréens qu’intimidant pour les étrangers. En 2016, là aussi pour le lancement d’un satellite, elle fonce :

« La vapeur fascinante du satellite juche traînant dans le ciel bleu et dégagé d’un printemps de février, à l’aube du Jour de l’Etoile Brillante, le plus grand jour férié de la Corée de Kim Il-sung, est un cadeau d’une loyauté intense. »

Objet de propagande virale

Les mots prononcés par Ri Chun-hee ne sont jamais les siens. Ils sont écrits par les organes de propagande nord-coréens et la présentatrice est elle-même un objet de cette propagande. A chaque nouvelle menace militaire nord-coréenne, la presse mondiale relaie systématiquement les faits, les inquiétudes de la communauté internationale et souvent, en appui, un petit article sur tout ce qu’il faut savoir de cette méchante dame en rose qui crie très fort à la télé.

Ses éléments biographiques régulièrement ressortis sont entourés de conditionnels : on pense qu’elle aurait dans les 70 ans, on pense que Kim Jong-un l’adore, elle et sa voix tonitruante, ce qui expliquerait pourquoi elle a si longtemps survécu aux purges dans les médias officiels.

Les vidéos de ses prestations télévisées tournent plus que celles des explosions en très mauvaise CGI des navires et des villes américaines. Elles mélangent peur, exagération et absurdité, ce qui les rend éminemment partageables sur Facebook, retweetables, envoyables sur les fils WhatsApp ou Slack.

En 2016, vue de Tokyo. / KAZUHIRO NOGI / AFP

Leur viralité n’est pas pour déplaire au régime nord-coréen qui encourage cette dissémination des mots et de l’image de Ri Chun-hee, d’autant plus qu’elle est réalisée gratuitement par des millions d’internautes à travers le monde. « La Corée du Nord a une propagande interne et une propagande externe », explique au Daily Dot Lisa Collins, chercheuse au Center for Strategic and International Studies.

L’image hystérique et fanatisée du peuple nord-coréen, telle qu’illustrée par les apparitions de Ri Chun-hee, est destinée à l’étranger. Leur relative popularité sur les réseaux sociaux, même si c’est pour des raisons ironiques, est une bonne nouvelle pour Pyongyang : les chaînes officieuses diffusant des vidéos nord-coréennes sur YouTube à l’étranger – YouTube est banni en Corée, comme tous les réseaux sociaux – ont été fermées les unes après les autres depuis fin 2016 et la mise en place de nouvelles sanctions internationales.

Pour comprendre la différence avec la « propagande interne », il faut regarder un reportage sur Ri Chun-hee réalisé en 2012 par la chaîne d’Etat chinoise CCTV. Ces images étaient destinées au public du seul pays allié au régime nord-coréen. Dans les coulisses de la chaîne KCTV, Ri Chun-hee se remémore les grands moments de sa carrière de présentatrice et donne des conseils à la prochaine génération. Elle ne crie pas, n’élève même pas la voix. « Lorsque l’on s’adresse au peuple de la République populaire démocratique de Corée, il ne faut pas crier, mais parler aux téléspectateurs avec douceur. » Les menaces apocalyptiques sont pour les étrangers.