Documentaire sur Arte à 22 h 20

Agatha Christie contre Hercule Poirot : Qui a tué Roger Ackroyd ?
Durée : 01:00

En 1926, Agatha Christie n’est pas encore la reine du crime que l’on connaît. Elle a déjà, certes, publié six romans policiers, dont La Mystérieuse Affaire de Styles, en 1920, où apparaît pour la première fois Hercule Poirot, un inspecteur belge à la retraite, installé en Angleterre, après la Grande Guerre. S’il a quelque chose de Sherlock Holmes en plus rond et jovial, on ne peut pas dire que ses aventures, très inspirées par ­Gaston Leroux, aient encore suscité un réel engouement.

Tout change avec la parution du Meurtre de Roger Ackroyd (1926), où la romancière fait voler en éclats de façon étonnante les règles du roman à énigme. Ce qui provoquera la fureur de quelques hiérarques du genre, dont le ­romancier américain S. S. Van Dine, créateur du détective Philo Vance et auteur des 20 règles du ­roman policier.

Récit machiavélique

De quoi Agatha Christie s’est-elle rendue coupable ? Elle a compris que le lecteur tire moins son plaisir d’un affrontement avec l’écrivain que du fait d’être mystifié et manipulé par lui, à condition que cela soit fait avec l’élégance et la précision d’un magicien. Dans Le Meurtre de Roger ­Ackroyd, le narrateur est un certain docteur Shepard, médecin du mort, qui livre dans son journal les avancées de l’enquête d’Hercule Poirot. Mais ce récit s’avère plus machiavélique qu’il n’y paraît de prime abord et fonctionne à double entente, puisque ce brave homme est en fait le meurtrier… Sous le « il » du narrateur se cache le « je » de l’assassin, résumera Roland Barthes, qui considère ce livre – et il n’est pas le seul – comme le premier chef-d’œuvre d’Agatha Christie, grande artiste de la manipulation.

Manipulation dont elle fera preuve dans sa vie privée quelques mois après la parution du roman. Son mariage avec le colonel Archie Christie, un aviateur quelque peu fantasque, bat de l’aile. Elle a en effet appris sa liaison avec Theresa Neele, une dactylo de la compagnie d’assurances où il travaille depuis sa démobilisation. Le 4 décembre 1926, au petit matin, la voiture de la romancière, une Morris Cowley, est trouvée abandonnée au bord de l’étang Silent Pool, de sinistre réputation, à Newlands Corner, dans le Surrey, à 20 miles du cottage où Archie et sa maîtresse passent le week-end. A l’intérieur, les policiers retrouvent un manteau de fourrure et les papiers d’identité d’Agatha. Meurtre ? Suicide ? Enlèvement ? Fugue ? Scotland Yard se perd en conjectures et la presse s’empare de l’affaire.

« Agatha Christie contre Hercule Poirot : qui a tué Roger Ackroyd ? », de Jean-Christophe Klotz. / © LES FILMS DU POISSON

Dix jours plus tard, deux musiciens de l’orchestre de jazz du Swan Hydropathic Hôtel, à Harrogate, une station thermale du Yorkshire, la reconnaissent et préviennent la police. Elle est descendue là sous le nom de Theresa Neele (la maîtresse de son mari) et a été remarquée par sa façon de danser le charleston. Elle ne reconnaît pas son mari et joue l’amnésique… En fait, elle a tout monté pour se venger de lui et gâcher le week-end des deux amants.

Dans Agatha Christie contre Hercule Poirot : qui a tué Roger Ackroyd ?, Jean-Christophe Klotz se penche avec gourmandise et intelligence sur la correspondance entre le roman et la mystérieuse disparition d’Agatha Christie. Journaliste à l’agence Capa, plus habitué jusque-là du génocide au Rwanda ou des méandres de l’affaire Karachi, il livre une fascinante réflexion sur le libre arbitre, la manipulation et la dimension subversive de la lecture. Fort du principe que nous sommes tous des meurtriers en puissance si la situation s’y prête, il va même jusqu’à démontrer qu’Hercule Poirot s’est trompé. Et que le docteur Shepard n’est pas le meurtrier…

Agatha Christie contre Hercule Poirot : qui a tué Roger Ackroyd ?, de Jean-Christophe Klotz (Fr., 2016, 55 min).