C’est un schéma classique dans la plupart des festivals de cinéma, un vieux truc de programmateur-prestidigitateur confronté à l’inévitable pénurie de bons films. Le mouvement peut se traduire par un diagramme. Soit une courbe fortement ascensionnelle en début de manifestation, une chute certaine, plus ou moins brutale, au milieu, une remontée apothéotique, fouetteuse de sang, à la fin. A l’heure où ces lignes sont écrites, la Mostra de Venise, et le festivalier avec elle, se trouve au creux de la dépression médiane, dans le ventre mou, le no movies’s land, une certaine mouise pour trancher le mot.

Depuis le passage en compétition, dimanche 3 septembre, du bel Ex Libris de Frederick Wiseman, les propositions se succèdent mais peinent à convaincre. Les deux premières entrées italiennes – The Leisure Seeker, de Paolo Virzi, et Una Famiglia, de Sebastiano Riso – en sont un exemple. Le premier est une variation en forme de road movie anglophone sur le dernier voyage d’un couple en fin de vie (les bien-aimés Donald Sutherland et Helen Mirren). Sympathique mais si convenu. Le second est l’adaptation d’un fait divers sordide (trafic d’enfants et exploitation de mères porteuses) mis en scène de manière uniment accablante, pour les personnages, les acteurs (Patrick Bruel y tient le rôle du salaud) et les spectateurs.

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Casque ailé du pompiérisme

Le cinéma anglo-saxon (américain, anglais, australien ou italien comme on vient de le lire), largement majoritaire dans cette compétition, continue d’occuper le tapis rouge, façon montagnes russes. Il se trouve que le film tombé le plus bas était l’un des plus attendus. Il s’agit de Mother !, de l’Américain Darren Aronofsky, avec la ravissante et « bancable » idole de la saga Hunger Games Jennifer Lawrence et le solide Javier Bardem. Ils y campent un couple retiré du monde dans une vaste maison qu’ils rénovent. Il est écrivain et cherche l’inspiration. Elle est amoureuse et s’occupe de la décoration.

MOTHER Official Trailer (2017) Jennifer Lawrence Movie HD
Durée : 02:17

Enveloppée d’une nuisette transparente qui permet d’admirer la perfection de ses formes, Jennifer Lawrence, dont le film épouse le point de vue, est d’emblée désignée comme une figure canonique du film d’épouvante : la femme terrifiée dans une grande maison isolée. Il faut dire que son mari, dangereusement hospitalier, y laisse entrer de drôles d’individus. Ce principe d’intrusion va nourrir toutefois moins un film d’horreur qu’une allégorie grandiloquente sur la ­folie dévorante du créateur, d’autant plus appuyée que Jennifer Lawrence n’est autre que la compagne du cinéaste. On savait Aronofsky, cinéaste cultivant volontiers le génie baroque (Requiem for a Dream en 2000, Black Swan en 2010), susceptible d’être frôlé par le casque ailé du pompiérisme (Noé en 2014). Dans ce film, il lui est visiblement tombé dessus.

Sans être un chef-d’œuvre, ce film a quelques solides atouts à faire valoir pour poser en divertissement de grande qualité

De sorte que la vraie surprise de ces derniers jours est venue d’un autre film américain, Three Billboards Outside Ebbing, Missouri, dirigé par Martin McDonagh. Ce réalisateur britannique de 47 ans, surtout connu comme dramaturge, est l’auteur de deux pastiches, Bon Baisers de Bruges (2008) et Sept Psychopathes (2012) qui contribueront sans doute moins à l’affermissement de sa carrière que ce troisième film, très chaudement reçu à la Mostra. Sans être un chef-d’œuvre, celui-ci a quelques solides atouts à faire valoir pour poser en divertissement de grande qualité. Un scénario finement écrit, une atmosphère de farce tragique digne des frères Coen, des acteurs jubilatoires.

Three Billboards Outside Ebbing, Missouri | Official Red Band Trailer | FOX Searchlight
Durée : 02:41

Frances McDormand y interprète une mère divorcée et dure à cuire dont la fille s’est fait violer et assassiner sans qu’on retrouve le coupable. Woody Harrelson campe un chef de la police humaniste atteint d’un cancer en phase terminale, flanqué d’un adjoint violent et raciste (Sam Rockwell), mené par le bout du nez par sa vieille sorcière de mère. L’intrigue se noue au moment où la mère excédée décide de dénoncer noir sur blanc la nullité de la police locale sur trois panneaux publicitaires géants à l’entrée de la ville. Tout cela, mijoté dans le Sud profond, donne une fable croquignolesque sur la vieille tension américaine entre recherche de la justice et pulsion de vengeance expéditive.

Sur le Web : www.labiennale.org/en/cinema/2017