On le savait depuis belle lurette : l’observation des élections en Afrique n’a pas grande utilité. Elle ne sert ni l’enracinement de la culture démocratique, ni la transparence des processus électoraux sur le continent. Toutefois, on était loin d’envisager le naufrage de l’observation électorale que vient de provoquer l’invalidation par la Cour suprême kényane des résultats du scrutin présidentiel du 8 août.

Les juges de la plus haute institution du pays ont estimé, le 1er septembre, que la réélection du président sortant, Uhuru Kenyatta, était tellement entachée d’irrégularités qu’il n’y avait aucune autre alternative que sa reprise complète. Quelques jours plus tôt, pourtant, les observateurs internationaux avaient quant à eux estimé que la présidentielle avait été libre et crédible. Même la délégation du National Democratic Institue (NDI), conduite par l’ancien secrétaire d’Etat américain John Kerry, n’avait rien trouvé à redire aux conditions d’organisation des opérations électorales.

En réalité, ce n’est pas la première fois que les observateurs électoraux ne « voient » pas l’évidence lors d’une élection organisée sur le continent. Leurs turpitudes avaient jusqu’ici été masquées par les décisions d’institutions d’arbitrage aux ordres du pouvoir.

Anciens chefs d’Etat reconvertis

Qu’il soit effectué pour le compte d’organisations internationales comme la Francophonie, l’Union africaine ou les communautés économiques sous-régionales (Cédéao, SADC, Ceeac), le travail d’observation électorale a été dévoyé depuis très longtemps en Afrique. Il s’est transformé en business et en mercenariat. Ainsi, des personnalités à l’agenda surchargé sont mandatées par des organisations internationales pour aller observer des élections. Faute de temps, elles arrivent la veille ou l’avant-veille du scrutin, rencontrent quelques sensibilités politiques individuellement ou collectivement à leur hôtel. Le jour du scrutin, ces mêmes personnalités font le tour de quelques bureaux de vote de la capitale et, au mieux, de sa périphérie, puis rendent une déclaration sur la bonne tenue des élections. Avec souvent, pour principal critère d’appréciation, le fait qu’il n’y ait eu ni bousculade, ni bagarre dans les bureaux qu’ils ont visités.

Anciens chefs d’Etat, anciens chefs de gouvernement, anciens ministres ou universitaires réputés, ces observateurs reprennent leur avion au lendemain du scrutin. Ils ont déjà empoché leurs per diem, le plus souvent en liquide et en devises. Ces indemnités journalières peuvent être conséquentes : entre 500 euros et 1 000 euros pour les « sans-grade », entre 1 000 euros et 2 000 euros pour les grades intermédiaires et bien au-delà de 2 000 euros pour les « haut gradés ».

Sur le terrain, ces personnalités côtoient des observateurs « free lance » qui proposent spontanément leurs services ou sont directement sollicités par les pouvoirs locaux désireux d’obtenir l’onction des observateurs internationaux. Avec les observateurs free lance, les pouvoirs signent souvent un engagement contractuel. Il inclut la prise en charge du transport aller-retour, le per diem, l’assistance logistique, la pension complète à l’hôtel et, à la fin du séjour, une enveloppe qui peut monter jusqu’à 50 000 euros, en fonction de ce que pèse la parole de l’observateur sur le marché international. En retour, notre observateur free lance s’engage à certifier, souvent sans être sorti de sa chambre d’hôtel, la sincérité du scrutin.

Mascarade

Pour ces observateurs free lance, plus il y a d’élections à observer sur le continent, plus il y a de business à réaliser. A cet égard, l’année 2016, qui fut exceptionnelle en nombre de scrutins présidentiels et législatifs organisés sur le continent, a généré un chiffre d’affaires impressionnant pour ces mercenaires d’un genre particulier.

Dans sa forme actuelle, qu’elle soit effectuée par des observateurs mandatés par les organisations internationales ou par des free lance, l’observation électorale ne sert qu’à enrichir des individus peu scrupuleux et à conforter des régimes en mal de légitimation. Le grand perdant de la présidentielle kényane n’est ni le président sortant Uhuru Kenyatta, ni son challenger Raila Ondinga, mais ce faux-nez de la transparence démocratique. Telle qu’elle est pratiquée, l’observation des élections est une mascarade qui doit tout simplement être abandonnée.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur, notamment, de La Presse au Niger. Etat des lieux et perspectives, L’Harmattan, Paris, 2010.